Dédicaces de Aude Mermilliod pour "Reflets changeants" et Jean-Louis Tripp pour "Extases" chez BD Fugue Annecy
La BD entre dans son âge mûr, elle aborde des sujets importants, drôles, intimes, originaux avec une relation texte/image, pertinente, unique qui ouvre vers de nouvelles possibilités d’expression.
Jean-Louis Tripp, certains parlent de « droit au plaisir ». Est-ce un droit ou plutôt un cheminement personnel qui permet de se construire ?
Votre interrogation me permet de répondre à la question essentielle. Pour moi Extases est un livre politique. La plupart des sociétés humaines se sont construites avec des interdits dont la majorité sont d’origine religieuse. A partir du moment où les religions quittent le strict domaine spirituel pour se construire dans la société, elles entrent dans le politique. Dans nos sociétés judéo-christiano-musulmanes notamment, le sexe et le plaisir constituent un interdit majeur. Pas de plaisir sur terre puisque tout se passe après la mort, avec le paradis…Le corps est politique, le plaisir est politique et Extases signifie essentiellement « Dédramatisons ». Je dis que ces interdits nous sont extérieurs, ils n’ont rien de naturel, sont des constructions mentales et nous sont imposés ; c’est pourquoi chacun a le droit de se faire son propre chemin mais ma démarche n’a rien de prescriptif, je n’impose rien. Chacun a la liberté de faire ce qu’il veut et je comprends que des gens vivent retirés du monde, dans une démarche spirituelle, dans une sorte de sublimation. Ce qui me révulse est la contrainte, l’interdit.
Vous vous placez, à juste titre, sur le terrain politique. On pourrait dire qu’il en va de même pour le travail.
Bien entendu, même si ce n’est pas le sujet de mon livre, je souhaiterais que chacun fasse un travail qui lui plaît et qui lui apporte une reconnaissance.
Vous êtes un auteur reconnu, vous avez produit pas mal d’œuvres et c’est maintenant que sort Extases. Il fallait attendre …
Il fallait avoir les cheveux un peu blancs. Je n’aurais pas pu faire ce bouquin il ya quinze ans. Il me fallait avoir suffisamment vécu et digéré ce que j’avais vécu pour en parler ; le deuxième point était d’en assumer complètement les conséquences : les questions, le regard des autres . Je parle d’ailleurs dans la préface d’une sorte de coming out. « Ça vous plaît ou ça ne vous plaît pas, mais je suis comme ça ! »
C’est certainement parce que vous assumez totalement votre manière d’être et de le dire que votre livre n’est jamais provocateur, ni choquant.
Effectivement, si certains y voient de la provocation, c’est malgré moi. Les réactions des gens à ce livre parlent plus d’eux que de moi, qu’ils disent « J’adore » ou « Ça ne m’intéresse pas. »
Si j’avais adopté le même point de vue pour parler de ma passion pour la cuisine ou pour l’opéra, il n’y aurait eu aucune réaction de rejet.
Vous savez, il y a de grandes similitudes entre la cuisine et le sexe ! ( rires)
Oui, nous en parlerons dans le tome deux. Mais le sexe est un sujet tabou.
Bien sûr, il s’agit de sexe, de sexualité mais inscrits dans une vie, dans une époque…
Une époque qui évolue puisque ça va aller jusqu’à aujourd’hui car quatre tomes sont prévus. Pour revenir à l’aspect politique, ce qui m’intéresse est ce rapport que l’on entretient avec ce grand interdit qu’est la sexualité et qui est pourtant au centre de nos vies, qu’on se construise pour ou contre. J’ai lu il y a peu de temps un article d’un biologiste qui explique que la reproduction sexuée n’est pas le mode de reproduction le plus productif, elle comporte simplement une dimension fondamentale qui est le plaisir. C’est parce que c’est agréable qu’on se reproduit.
Nous sommes à la fois les acteurs et les instruments du plaisir.
Oui, et il est presque interdit d’en parler. C’est ce que j’essaie de faire et aussi de montrer comment ce rapport à la sexualité va évoluer au cours de la vie, à mesure qu’on grandit, qu’on mûrit et qu’on commence à savoir qui on est.
La relation aux autres intervient aussi.
Exactement, c’est pour cette raison que je veux arriver jusqu’à aujourd’hui. Je précise qu’il y a un s au titre Extases parce qu’il n’y a pas que la dimension sexuelle mais aussi la dimension spirituelle, même si elle n’est qu’esquissée dans ce premier tome.
Effectivement, il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour constater que le mot extase offre un éventail de significations.
Exactement. La spiritualité était totalement absente de la famille dont je suis issu, or nous avons au fond de nous une aspiration à quelque chose qui nous dépasse et qui nous dit que nous ne sommes pas seul. J’ai traversé une époque de ma vie où ça n’allait pas bien, c’était compliqué. C’est là qu’un chemin s’est entrouvert qui a commencé il y a vingt-trois ans par la psychothérapie ; il y a eu la découverte de la méditation par l’intermédiaire du bouddhisme…J’ai exploré tout ce qui relève de la spiritualité sans être religieux jusqu’à ce que le sexe et le spirituel se rejoignent. J’ai pu alors regarder ces deux composantes de ma personnalité , de mon moi et comprendre qui j’étais, ce qui a permis un véritable épanouissement.
L’un des mots clé de votre discours, de votre livre est le regard, sur soi, sur les autres, des autres sur soi…
C’est essentiel. Dans la vie de tous les jours, on ne se regarde pas dans les yeux ! C’est troublant quand on commence à se regarder vraiment dans les yeux. Tout autant que le regard qu’on a sur soi. J’essaie d’avoir sur moi un regard lucide, sans me mettre en avant, de rendre compte de mon parcours.
Jean-Louis Tripp, certains parlent de « droit au plaisir ». Est-ce un droit ou plutôt un cheminement personnel qui permet de se construire ?
Votre interrogation me permet de répondre à la question essentielle. Pour moi Extases est un livre politique. La plupart des sociétés humaines se sont construites avec des interdits dont la majorité sont d’origine religieuse. A partir du moment où les religions quittent le strict domaine spirituel pour se construire dans la société, elles entrent dans le politique. Dans nos sociétés judéo-christiano-musulmanes notamment, le sexe et le plaisir constituent un interdit majeur. Pas de plaisir sur terre puisque tout se passe après la mort, avec le paradis…Le corps est politique, le plaisir est politique et Extases signifie essentiellement « Dédramatisons ». Je dis que ces interdits nous sont extérieurs, ils n’ont rien de naturel, sont des constructions mentales et nous sont imposés ; c’est pourquoi chacun a le droit de se faire son propre chemin mais ma démarche n’a rien de prescriptif, je n’impose rien. Chacun a la liberté de faire ce qu’il veut et je comprends que des gens vivent retirés du monde, dans une démarche spirituelle, dans une sorte de sublimation. Ce qui me révulse est la contrainte, l’interdit.
Vous vous placez, à juste titre, sur le terrain politique. On pourrait dire qu’il en va de même pour le travail.
Bien entendu, même si ce n’est pas le sujet de mon livre, je souhaiterais que chacun fasse un travail qui lui plaît et qui lui apporte une reconnaissance.
Vous êtes un auteur reconnu, vous avez produit pas mal d’œuvres et c’est maintenant que sort Extases. Il fallait attendre …
Il fallait avoir les cheveux un peu blancs. Je n’aurais pas pu faire ce bouquin il ya quinze ans. Il me fallait avoir suffisamment vécu et digéré ce que j’avais vécu pour en parler ; le deuxième point était d’en assumer complètement les conséquences : les questions, le regard des autres . Je parle d’ailleurs dans la préface d’une sorte de coming out. « Ça vous plaît ou ça ne vous plaît pas, mais je suis comme ça ! »
C’est certainement parce que vous assumez totalement votre manière d’être et de le dire que votre livre n’est jamais provocateur, ni choquant.
Effectivement, si certains y voient de la provocation, c’est malgré moi. Les réactions des gens à ce livre parlent plus d’eux que de moi, qu’ils disent « J’adore » ou « Ça ne m’intéresse pas. »
Si j’avais adopté le même point de vue pour parler de ma passion pour la cuisine ou pour l’opéra, il n’y aurait eu aucune réaction de rejet.
Vous savez, il y a de grandes similitudes entre la cuisine et le sexe ! ( rires)
Oui, nous en parlerons dans le tome deux. Mais le sexe est un sujet tabou.
Bien sûr, il s’agit de sexe, de sexualité mais inscrits dans une vie, dans une époque…
Une époque qui évolue puisque ça va aller jusqu’à aujourd’hui car quatre tomes sont prévus. Pour revenir à l’aspect politique, ce qui m’intéresse est ce rapport que l’on entretient avec ce grand interdit qu’est la sexualité et qui est pourtant au centre de nos vies, qu’on se construise pour ou contre. J’ai lu il y a peu de temps un article d’un biologiste qui explique que la reproduction sexuée n’est pas le mode de reproduction le plus productif, elle comporte simplement une dimension fondamentale qui est le plaisir. C’est parce que c’est agréable qu’on se reproduit.
Nous sommes à la fois les acteurs et les instruments du plaisir.
Oui, et il est presque interdit d’en parler. C’est ce que j’essaie de faire et aussi de montrer comment ce rapport à la sexualité va évoluer au cours de la vie, à mesure qu’on grandit, qu’on mûrit et qu’on commence à savoir qui on est.
La relation aux autres intervient aussi.
Exactement, c’est pour cette raison que je veux arriver jusqu’à aujourd’hui. Je précise qu’il y a un s au titre Extases parce qu’il n’y a pas que la dimension sexuelle mais aussi la dimension spirituelle, même si elle n’est qu’esquissée dans ce premier tome.
Effectivement, il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour constater que le mot extase offre un éventail de significations.
Exactement. La spiritualité était totalement absente de la famille dont je suis issu, or nous avons au fond de nous une aspiration à quelque chose qui nous dépasse et qui nous dit que nous ne sommes pas seul. J’ai traversé une époque de ma vie où ça n’allait pas bien, c’était compliqué. C’est là qu’un chemin s’est entrouvert qui a commencé il y a vingt-trois ans par la psychothérapie ; il y a eu la découverte de la méditation par l’intermédiaire du bouddhisme…J’ai exploré tout ce qui relève de la spiritualité sans être religieux jusqu’à ce que le sexe et le spirituel se rejoignent. J’ai pu alors regarder ces deux composantes de ma personnalité , de mon moi et comprendre qui j’étais, ce qui a permis un véritable épanouissement.
L’un des mots clé de votre discours, de votre livre est le regard, sur soi, sur les autres, des autres sur soi…
C’est essentiel. Dans la vie de tous les jours, on ne se regarde pas dans les yeux ! C’est troublant quand on commence à se regarder vraiment dans les yeux. Tout autant que le regard qu’on a sur soi. J’essaie d’avoir sur moi un regard lucide, sans me mettre en avant, de rendre compte de mon parcours.
Du regard, on peut aller vers le point de vue que vous adoptez. Au début vous parlez de vous enfant…
A la troisième personne.
Et les choses évoluent, ainsi que la taille du personnage suivant qu’il est en position de force ou de faiblesse, ensuite s’installe une sorte de dialogue entre le personnage et son sexe.
Ce personnage de faune hypersexué dont on voit surtout le phallus a aussi dans le dos un sexe féminin .Il représente l’animalité, l’instinct, les hormones, les odeurs, la nature, alors que l’autre personnage représente les interdits de la civilisation.
Vous vous mettez en scène en vous dédoublant.
C’est comme dans Tintin, quand au dessus de Milou sont représentés le diable et l’ange. Il s’agit de sortir de soi pour illustrer le combat intérieur.
Je dois vous avouer que j’ai aussi beaucoup apprécié la scène où intervient l’Apéricub. (rires)
J’étais super fan de ce produit, notamment au jambon ! (rires)
Mais dans la scène, c’est très drôle. C’est le truc qui est censé créer le lien entre vous, très à l’aise, et l’autre personnage très gêné d’avoir à vous rencontrer avant d’avoir une relation sexuelle avec votre amie .Ça crée de l’humour, un décalage.
Je voulais que ce soit un bouquin « léger »…
Même si vous évoquez la mort de votre frère.
« Léger » n’interdit pas l’émotion. Si vous connaissez Magasin général que j’ai fait avec Loisel, c’est exactement ça, on passe du rire à l’émotion parce que c’est comme ça dans la vie. Je ne sais pas s’il n’est pas plus déprimant, pour moi, de ne pas pouvoir rire que de ne pas avoir de vie sexuelle.
Parfois il est difficile de vivre un moment sexuel tout en rigolant.
Je suis d’accord, mais quand ça arrive, c’est très réjouissant même si physiologiquement c’est plutôt incompatible.
La force sexuelle rejoint la libido.
C’est la force de la vie dont fait aussi partie l’énergie sexuelle.
Pour revenir à la dimension politique, une société pense qu’elle se doit de maîtriser le travail, le plaisir…
Sinon c’est le bordel. Mai 68 est parti de quoi ? D’une histoire de dortoirs à Nanterre, les étudiants qui voulaient pouvoir rendre visite aux étudiantes. Voilà le point de départ !
D’autre part, l’Homme a réussi à dissocier , il n’y a pas si longtemps, la reproduction et le plaisir et l’érotisme est la mise en scène de notre sexualité, un jeu à partir de nos instincts, de la force hormonale. Je pense que tout ça , c’est du jeu. Ma grande ambition dans la vie est de jouer.
Quand vous dessinez, est-ce qu’il est difficile de mettre en images pertinentes vos intentions ?
Pour moi, il a toujours été très difficile de raconter des histoires en BD, je me pose beaucoup de questions ; ce bouquin a été le plus facile à faire de toute ma carrière et ça continue avec le tome 2 que je réalise en ce moment. C’est ma vie, je la connais.
Vous arrivez à vous surprendre ?
Quand je trouve une bonne idée de mise en scène. Dans l’avertissement au lecteur, je raconte que Régis Loisel a été le grand artisan qui a permis ce livre.
Il en a marre de vous entendre raconter des trucs depuis quinze ans ?
Au contraire, il en était très friand. Mais de mon côté, la question était « Comment raconter ça ? Quel axe trouver ? » Ça ne m’intéressait pas de raconter des histoires de c…, il fallait que le récit s’inscrive dans une histoire plus large. La dimension politique s’est imposée. Restait le ton. Régis m’a suggéré « Raconte-le comme tu m’en parles à moi. »
Je suis fondamentalement méditerranéen, je m’enflamme facilement, je m’enthousiasme très vite, je parle avec les mains et avec passion et pour suivre le conseil de Régis je suis resté naturel, en trouvant des images, des métaphores…quand je raconte une petite anecdote j’ai tendance à en faire un grand truc. Ce livre me ressemble.
Vous parliez de quatre tomes et d’une époque plus difficile de votre vie.
Oui, le tome deux va être plus difficile. Je ne savais pas très bien qui j’étais à ce moment-là, et le regard des autres ne m’aidait pas. On me disait « Stop ! Tu es too much. » Je ne comprenais pas pourquoi. Puis il y a eu ce moment de bascule qui m’a permis d’être moi, de trouver ma place.
Quand on veut se comprendre, comprendre la vie, la société, il semble élémentaire de se poser certaines questions.
D’autant plus quand on est artiste. et qu’on est la source de la démarche artistique.
Alors là, vous êtes remonté à la source des sources ?
Je pense, oui.
Le prochain s’appelle Le saumon ? (rires)
Le premier tome va jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, le second jusqu’à la fin de la quarantaine, une période plus compliquée qui commence par une rupture suivie de périodes dépressives, suicidaires ; les deux derniers tomes concernent la cinquantaine qui constitue une période de réalisation, d’épanouissement…
D’autant plus appréciable après ce moment difficile.
Pour revenir à l’une de vos questions, si j’avais fait ce livre à la fin de la quarantaine, le résultat n’aurait pas été très gai.
[ La discussion continue encore un bon moment. Il y est question de l’accueil très favorable des plus jeunes et de l’idée de faire d’Extases un support d’initiation à la sexualité. Dans la bonne humeur !]
A la troisième personne.
Et les choses évoluent, ainsi que la taille du personnage suivant qu’il est en position de force ou de faiblesse, ensuite s’installe une sorte de dialogue entre le personnage et son sexe.
Ce personnage de faune hypersexué dont on voit surtout le phallus a aussi dans le dos un sexe féminin .Il représente l’animalité, l’instinct, les hormones, les odeurs, la nature, alors que l’autre personnage représente les interdits de la civilisation.
Vous vous mettez en scène en vous dédoublant.
C’est comme dans Tintin, quand au dessus de Milou sont représentés le diable et l’ange. Il s’agit de sortir de soi pour illustrer le combat intérieur.
Je dois vous avouer que j’ai aussi beaucoup apprécié la scène où intervient l’Apéricub. (rires)
J’étais super fan de ce produit, notamment au jambon ! (rires)
Mais dans la scène, c’est très drôle. C’est le truc qui est censé créer le lien entre vous, très à l’aise, et l’autre personnage très gêné d’avoir à vous rencontrer avant d’avoir une relation sexuelle avec votre amie .Ça crée de l’humour, un décalage.
Je voulais que ce soit un bouquin « léger »…
Même si vous évoquez la mort de votre frère.
« Léger » n’interdit pas l’émotion. Si vous connaissez Magasin général que j’ai fait avec Loisel, c’est exactement ça, on passe du rire à l’émotion parce que c’est comme ça dans la vie. Je ne sais pas s’il n’est pas plus déprimant, pour moi, de ne pas pouvoir rire que de ne pas avoir de vie sexuelle.
Parfois il est difficile de vivre un moment sexuel tout en rigolant.
Je suis d’accord, mais quand ça arrive, c’est très réjouissant même si physiologiquement c’est plutôt incompatible.
La force sexuelle rejoint la libido.
C’est la force de la vie dont fait aussi partie l’énergie sexuelle.
Pour revenir à la dimension politique, une société pense qu’elle se doit de maîtriser le travail, le plaisir…
Sinon c’est le bordel. Mai 68 est parti de quoi ? D’une histoire de dortoirs à Nanterre, les étudiants qui voulaient pouvoir rendre visite aux étudiantes. Voilà le point de départ !
D’autre part, l’Homme a réussi à dissocier , il n’y a pas si longtemps, la reproduction et le plaisir et l’érotisme est la mise en scène de notre sexualité, un jeu à partir de nos instincts, de la force hormonale. Je pense que tout ça , c’est du jeu. Ma grande ambition dans la vie est de jouer.
Quand vous dessinez, est-ce qu’il est difficile de mettre en images pertinentes vos intentions ?
Pour moi, il a toujours été très difficile de raconter des histoires en BD, je me pose beaucoup de questions ; ce bouquin a été le plus facile à faire de toute ma carrière et ça continue avec le tome 2 que je réalise en ce moment. C’est ma vie, je la connais.
Vous arrivez à vous surprendre ?
Quand je trouve une bonne idée de mise en scène. Dans l’avertissement au lecteur, je raconte que Régis Loisel a été le grand artisan qui a permis ce livre.
Il en a marre de vous entendre raconter des trucs depuis quinze ans ?
Au contraire, il en était très friand. Mais de mon côté, la question était « Comment raconter ça ? Quel axe trouver ? » Ça ne m’intéressait pas de raconter des histoires de c…, il fallait que le récit s’inscrive dans une histoire plus large. La dimension politique s’est imposée. Restait le ton. Régis m’a suggéré « Raconte-le comme tu m’en parles à moi. »
Je suis fondamentalement méditerranéen, je m’enflamme facilement, je m’enthousiasme très vite, je parle avec les mains et avec passion et pour suivre le conseil de Régis je suis resté naturel, en trouvant des images, des métaphores…quand je raconte une petite anecdote j’ai tendance à en faire un grand truc. Ce livre me ressemble.
Vous parliez de quatre tomes et d’une époque plus difficile de votre vie.
Oui, le tome deux va être plus difficile. Je ne savais pas très bien qui j’étais à ce moment-là, et le regard des autres ne m’aidait pas. On me disait « Stop ! Tu es too much. » Je ne comprenais pas pourquoi. Puis il y a eu ce moment de bascule qui m’a permis d’être moi, de trouver ma place.
Quand on veut se comprendre, comprendre la vie, la société, il semble élémentaire de se poser certaines questions.
D’autant plus quand on est artiste. et qu’on est la source de la démarche artistique.
Alors là, vous êtes remonté à la source des sources ?
Je pense, oui.
Le prochain s’appelle Le saumon ? (rires)
Le premier tome va jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, le second jusqu’à la fin de la quarantaine, une période plus compliquée qui commence par une rupture suivie de périodes dépressives, suicidaires ; les deux derniers tomes concernent la cinquantaine qui constitue une période de réalisation, d’épanouissement…
D’autant plus appréciable après ce moment difficile.
Pour revenir à l’une de vos questions, si j’avais fait ce livre à la fin de la quarantaine, le résultat n’aurait pas été très gai.
[ La discussion continue encore un bon moment. Il y est question de l’accueil très favorable des plus jeunes et de l’idée de faire d’Extases un support d’initiation à la sexualité. Dans la bonne humeur !]
Entretien avec Aude Mermilliod pour "Reflets changeants"
Vous me disiez que ce qu’on vous dit du titre de votre livre est plus compliqué que ce que vous aviez en tête.
Oui, Reflets changeants évoque plus pour moi l’ambiance, la mer, l’été, la chaleur. Comme le pitch peut être perçu de manière un peu négative, je voulais un titre qui apporte un peu de bonheur. Je tournais beaucoup autour de la chanson de Trénet, La mer et je suis tombée sur ce titre.
Page 150 , il y a cette phrase « Tu parles d’une balade ! ». Je pense que ça aurait pu faire un excellent titre parce qu’on peut le comprendre de différentes manières.
[Jean-Louis Tripp intervient pour approuver]
J’ai d’ailleurs du mal à trouver des titres et je m’inspire souvent de chansons
.
Qu’est-ce qui vous a décidée à utiliser le journal de votre grand père ?
Tout est parti du moment où j’ai appris que ma mère avait modifié pour nous ce qui concernait la mort de son père. Elle nous avait dit qu’il s’était suicidé mais pas comment. Vers vingt-deux ans, j’ai demandé à mon père qui m’a expliqué comment les choses s’étaient passées. Je voulais qu’un élément soit vu par plusieurs fenêtres, que ce soit transgénérationnel : ce journal permettait ces regards et le train est devenu aussi un vecteur important parce que ma mère a dû en prendre un pour rejoindre sa mère à la suite du décès de mon grand père. Je trouvais intéressant de voir la position de ma mère par rapport à un père dont elle ne partage pas les opinions politiques.
Il me semblait aussi intéressant de ne pas avoir le discours consensuel sur la guerre d’Algérie parce que la France est amnésique sur cet épisode de son histoire. Je ne suis pas d’accord avec les positions de mon grand père, la colonisation n’est pas défendable, on ne parlait pas de « guerre » mais d’opérations de maintien de l’ordre, c’est pourquoi il est intéressant de montrer un autre point de vue, même condamnable. Je souhaitais mettre le lecteur dans une position ambivalente avec le discours du colon français qui veut rester en Algérie.
Vous considérez que l’utilisation de ce journal est un acte courageux ?
J’ai demandé l’autorisation de ma mère parce que je considère que c’est davantage son drame que le mien. Comme je livre ce journal sans donner mon opinion directement, il fallait que je me positionne très vite comme auteur et mon regard passe par celui de Jean.
Votre point de vue personnel apparaît aussi dans le fait qu’Elsa tombe amoureuse d’Idir, qui récupère le chien du grand père.
Les réactions des lecteurs sont diverses et elles révèlent finalement plus ce qu’ils pensent que ce qu’ils pensent de mon histoire qui est une sorte de révélateur.
Oui, Reflets changeants évoque plus pour moi l’ambiance, la mer, l’été, la chaleur. Comme le pitch peut être perçu de manière un peu négative, je voulais un titre qui apporte un peu de bonheur. Je tournais beaucoup autour de la chanson de Trénet, La mer et je suis tombée sur ce titre.
Page 150 , il y a cette phrase « Tu parles d’une balade ! ». Je pense que ça aurait pu faire un excellent titre parce qu’on peut le comprendre de différentes manières.
[Jean-Louis Tripp intervient pour approuver]
J’ai d’ailleurs du mal à trouver des titres et je m’inspire souvent de chansons
.
Qu’est-ce qui vous a décidée à utiliser le journal de votre grand père ?
Tout est parti du moment où j’ai appris que ma mère avait modifié pour nous ce qui concernait la mort de son père. Elle nous avait dit qu’il s’était suicidé mais pas comment. Vers vingt-deux ans, j’ai demandé à mon père qui m’a expliqué comment les choses s’étaient passées. Je voulais qu’un élément soit vu par plusieurs fenêtres, que ce soit transgénérationnel : ce journal permettait ces regards et le train est devenu aussi un vecteur important parce que ma mère a dû en prendre un pour rejoindre sa mère à la suite du décès de mon grand père. Je trouvais intéressant de voir la position de ma mère par rapport à un père dont elle ne partage pas les opinions politiques.
Il me semblait aussi intéressant de ne pas avoir le discours consensuel sur la guerre d’Algérie parce que la France est amnésique sur cet épisode de son histoire. Je ne suis pas d’accord avec les positions de mon grand père, la colonisation n’est pas défendable, on ne parlait pas de « guerre » mais d’opérations de maintien de l’ordre, c’est pourquoi il est intéressant de montrer un autre point de vue, même condamnable. Je souhaitais mettre le lecteur dans une position ambivalente avec le discours du colon français qui veut rester en Algérie.
Vous considérez que l’utilisation de ce journal est un acte courageux ?
J’ai demandé l’autorisation de ma mère parce que je considère que c’est davantage son drame que le mien. Comme je livre ce journal sans donner mon opinion directement, il fallait que je me positionne très vite comme auteur et mon regard passe par celui de Jean.
Votre point de vue personnel apparaît aussi dans le fait qu’Elsa tombe amoureuse d’Idir, qui récupère le chien du grand père.
Les réactions des lecteurs sont diverses et elles révèlent finalement plus ce qu’ils pensent que ce qu’ils pensent de mon histoire qui est une sorte de révélateur.
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