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Move-On Magazine

China Moses, une licorne avec les pieds sur terre


Interview d’une diva à la fois licorne et poussière d’étoiles


| Publié le Vendredi 31 Août 2018 |

Ce dimanche 26 août 2018, China Moses sort de scène après avoir effectué balances et réglages pour le concert du soir dans le cadre du Festival Jazz Clermont (en Genevois).
  Vêtue décontract, souriante, petite poussière d’étoiles pas encore métamorphosée en étoile filante pour ce soir. Ou même en OVNI irradiant l’énergie, une sorte de sorcière bienveillante de la parole ,du chant et du rythme.
 
 
China, pendant les réglages, les balances, vous êtes habillée comme une athlète. C’est plus décontracté ? Il y a un côté physique ?
Je suis en legging et en tee shirt parce qu’on voyage beaucoup, il faut être à l’aise.
En même temps, le chant et la musique sont des activités très physiques.
Oui, la musique est physique, mais entièrement naturelle. L’énergie qu’apporte le public, cet échange entre êtres humains rend les choses extrêmement faciles. En réalité, ce sont les voyages qui sont les plus difficiles.
A vous voir pendant le réglage des balances, on a l’impression que c’est vous qui rendez les choses plus naturelles et faciles grâce à votre bonne humeur, même si c’est du boulot, de la technique…
Pendant les trois années de tournée de ce nouvel album, Nightintales , j’ai dû me prendre le chignon deux ou trois fois seulement avec notre ingénieur du son. On forme une famille qui a la chance inouïe de faire de sa passion son métier. Il y a un côté métier que le public ne doit pas voir. On fait tout pour que ça soit fluide. Là on vient de travailler un peu les structures des morceaux parce que le pianiste de ce soir, Andrew Mc Cormack, joue normalement avec Alice Wood. C’est le 4° concert qu’il fait avec nous. C’est le 2° concert de Bastien Ballaz avec nous. Il faut toujours ajuster, travailler, rien n’est jamais arrêté dans la musique. Etant Américaine, je connais très bien les gros spectacles qui sont réglés à la minute près. Quand tu as vingt personnes, il est normal que tout soit réglé à la minute près, tu ne peux pas laisser les choses au hasard parce qu’il y a trop de personnes qui doivent réagir au même moment et de la même manière ; mais avec une petite équipe comme ce soir, c’est génial, on peut changer totalement la structure d’un morceau du jour au lendemain.
 

China Moses ©Christophe Membré
China Moses ©Christophe Membré
Pendant les réglages, il y a, bien sûr, ce côté technique, mais on remarque que c’est aussi un moment où vous prenez vos repères, vous prenez possession de l’espace pour vous retrouver chez vous.
C’est indispensable. Les balances permettent à une chanteuse de trouver un certain équilibre pour ne pas fatiguer sa voix. C’est un doux équilibre à trouver, chaque lieu est différent. Le son est vraiment compliqué quand on joue à l’extérieur.

Mais c’est tellement plus agréable pour le public, de la musique à ciel ouvert !
Chaque fois que j’annonce à notre directeur du son, qui est Canadien, que c’est à l’extérieur, il fait « Oooooh !!! ». Mais on aime les défis.

Vous avez peut-être eu une voix en héritage, mais il y a aussi le travail et votre personnalité.
J’ai appris le métier par ma mère, je suis d’ailleurs toujours en train de l’apprendre ; je l’ai appris aussi par tous mes ancêtres, les gens que j’ai regardés, écoutés depuis mon enfance, les merveilleux concerts des années 60 ou 70 filmés par les télés suédoise ou allemande, les albums live. J’ai appris mon métier par cette grande famille et par l’ADN musical des Noirs américains. Je joue la musique de ma culture de Noire américaine. Tellement de gens incroyables ont créé ce chemin qui me permet d’exister ! Il n’y a pas que ma mère. Ce n’est pas elle qui m’a élevée vocalement. Elle a toujours été très libre, elle nous a élevés, ses trois enfants, en nous laissant faire ce qu’on voulait.

C’était donc à chacun de se forger sa personnalité.
Exactement. Moi, ça m’a pris très longtemps pour me trouver, ça m’a pris vingt ans. J’ai eu la chance de pouvoir prendre ce temps pour me trouver.
 

China Moses ©Christophe Membré
China Moses ©Christophe Membré
Vous étiez déjà passée au Festival Jazz de Clermont il y a dix ans. Que s’est-il passé depuis ?
Plus de 400 concerts. Il y a dix ans exactement, j’ai fait mon premier album jazz avec Raphaël Lemonnier, on a tourné pendant sept ans…c’est ce qui m’a permis de rencontrer Luigi Grasso qui est mon directeur musical actuel. Beaucoup de choses se passent en dix ans.

C’est drôle parce que vous évoquiez tout un héritage, mais vous citez les noms des gens qui composent actuellement votre équipe.
Il y a un vrai travail d’équipe. Je suis « band leader », la cheffe, mais je ne joue pas d’un instrument et je ne lis pas la musique, il faut donc que je trouve des musiciens, des alliés qui sont prêts à m’écouter. Le batteur de ce soir ,Marijus Aleksa est Lithuanien, nous jouons ensemble depuis deux ans. Il est de ma famille, c’est mon frère. Swaeli Mbappe est le pote de mon petit frère. Bastien Ballaz a joué sur Crazy Blues, le 2° album qu’on a fait avec Raphaël. J’ai fait quelques dates avec l’Amazing Keystone Big Band, dont il est l’un des leaders et j’ai réalisé que c’était idiot de ne pas bosser plus souvent ensemble. Il est dans un monde très jazz et moi je suis plus soul, funk avec une touche de jazz. Il est super heureux de jouer ma musique. En dix ans, il a fallu que je quitte la France musicalement, que je trouve un label en Allemagne, un tourneur en Angleterre parce que, même si c’est la France, les festivals de jazz en France qui m’ont donné la possibilité de chanter en tant qu’artiste live, ce sont les gens de ce même milieu qui ont rejeté la musique que je fais maintenant.

Ça rend opiniâtre.
Il faut se battre. La musique est une passion ! En dix ans, j’ai appris à dire « Ce n’est pas parce que je ne joue pas d’un instrument, ou parce que je ne lis pas la musique que je suis moins musicienne. » Ça ne m’a pas interdit de trouver des musiciens ou des musiciennes…

Tout à l’heure, vous avez dit « des alliés ». C’est beau.
Des alliés, oui, des gens qui croient en moi, qui me prêtent leur talent. Lors de chaque concert, je rappelle que ce n’est pas mon groupe, mais des individus qui ont décidé de me prêter leur talent. J’ai été élevée comme ça, c’est comme ça que je vois la musique.

Alors qu’on vit dans bien des domaines des replis identitaires, la musique est vraiment une ouverture.
Un ami photographe brésilien dit que cette nouvelle génération dans le domaine de la musique et plus particulièrement du jazz est l’exemple même du succès de l’immigration et du mélange. La musique est la preuve qu’on n’a pas besoin d’avoir peur de l’autre, qu’on n’a pas besoin non plus d’effacer nos différences. Il faut vivre avec, les célébrer, les mélanger.

Hier soir, à la brasserie Saint Maurice, à Annecy, on nous a demandé d’où on venait .On a répondu « Lui, il est de Vilnius, le pianiste est Anglais, le contrebassiste est Français et Camerounais et aussi de Haute-Savoie, lui, il est Canadien, moi je suis Américaine mais j’ai grandi en France… ».C’est beau !
C’est un message et une situation d’espoir.
C’est pour cette raison que les festivals et les concerts ne s’arrêteront jamais ; il y a un petit pourcentage de gens sur terre qui ont besoin de se le rappeler, que les êtres humains sont capables de faire des choses bien, de véritable beauté, de véritables échanges. Dans cette ère de smartphones, d’échanges hyper rapides, la musique reste l’un des premiers arts accessibles qui témoigne de la beauté, de l’amour et de l’échange.
 

China Moses ©Christophe Membré
China Moses ©Christophe Membré
Les spectacles et la musique vivants, en direct, ne sont pas reçus de la même manière qu’un enregistrement.
Oui, et pourtant je suis très fan des albums live mais, oui, rien ne remplace le fait de sortir et d’aller voir un concert. On est émerveillé qu’il y ait autant de festivals de jazz, aux fins fonds de la Pologne ou ailleurs. Parfois on atterrit  et il y a ensuite trois heures de voiture, alors on se demande où on va .On se retrouve avec cinq mille personnes et on se demande d’où elles viennent.

La musique est ma religion et c’est la religion de beaucoup de personnes aussi. C’est une chouette religion parce qu’il n’y a pas vraiment de règles. Ce n’est pas violent ; on peut avoir des débats pour savoir qui sont nos saints de la musique. Pour moi, c’est Mahalia Jackson, que j’implore avant les concerts  « Donne-moi la puissance de ton chant et de ton humour ! »

On revient au fait qu’il y a la technique, l’expérience mais aussi un truc en plus, l’inspiration, le spirituel…
Exactement. C’est pour ça que je remercie mes parents On me demande parfois qui j’aimerais remercier pour ma carrière, mais la liste est tellement longue. Il faut remercier l’univers, on n’est que poussière d’étoiles… Je dois quand même reconnaître que j’ai appris à devenir professionnelle. Avant j’étais vraiment free style et j’ai fini par accepter l’idée que la musique est mon métier.

En se disant que c’est un métier, on a peut-être peur que ça tue la créativité.
Exactement, mais ne partie de ce que je fais paye mon loyer. Je suis une artiste indépendante, j’ai produit mes trois derniers albums, j’investis sur moi-même. Les concerts payent le loyer, les albums permettent de refaire un disque.

Le public a l’impression que les artistes sont des gens à part, ils ne voient que le côté magique.
Non, on n’est pas des licornes, même si dans ma tête je suis une fabuleuse licorne…avec les pieds sur terre. Il faut se dire que pour devenir musicien, il faut dix à quinze ans de discipline dans les pattes.

Comme les cuisiniers Japonais pour maîtriser les couteaux.
Ou un médecin. Pour certaines professions, il faut dix années d’études après le lycée ; c’est pareil pour les musiciens.

Et quand on veut être artiste, on l’est dans l’âme, mais on n’est jamais sûr d’y arriver professionnellement. Il n’y a pas de diplôme.
Non, rien. On vit avec. Pas de diplôme, pas de garantie, des choses qui ne dépendent pas de nous. Dans n’importe quel domaine de l’art, il faut vivre sans savoir d’où viendra ton prochain chèque. Et en même temps, le monde évolue et on apprend de plus en plus à vivre différemment, sans CDI. On évolue de plus en plus sur des plans professionnels différents, toutes générations confondues .Les bénévoles dans les festivals, par exemple, certains sont à la retraite, mais certains prennent des congés, ont d’autres boulots…Tout se décloisonne. Tout le monde va apprendre à être artiste (grand sourire !).

 

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