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Move-On Magazine

Michel Ocelot chez lui, à Annecy


Rencontre avec le père de Kirikou qui a encore « des histoires plein les tiroirs ».


| Publié le Samedi 29 Décembre 2018 |

Michel Ocelot chez lui, à Annecy ©Didier Devos
Michel Ocelot chez lui, à Annecy ©Didier Devos
Le 22 décembre, c’était un peu noël avant noël car Michel Ocelot était aux cinémas Pathé d’Annecy grâce à CITIA (Image et Industries créatives) pour la projection de « Kirikou et la sorcière » et pour une séance de dédicaces.
Move On a pu poser quelques questions à ce jeune homme de 74 ans.

Didier Devos vient de vous offrir une photo de vous qu’il a faite il y a vingt ans. Quelle impression cela vous a-t-il fait ?
Aujourd’hui, quand je me regarde dans la glace, je ne me regarde pas longtemps (rires). J’étais déjà vieux, dégarni mais on sent une innocence, ou plutôt une honnêteté qui me plaît. Si je ne connaissais pas ce type-là, je dirais « C’est un brave type, je peux lui faire confiance ».

Un type dont toutes les œuvres relèvent de l’univers du conte.
Oui ! Et ce sera comme ça jusqu’à la fin. Le conte est le langage que je sais bien parler, qui me permet tout ce que je veux et de faire joli. J’ai pas honte de faire joli, princesses, fées et dragons. On peut aussi faire passer quelques légères incohérences qui ne sont pas gênantes dans la mesure où c’est un conte, ce qui permet de ne pas perdre de temps et d’aller droit au but. Et sous ces jolis déguisements, je peux vous dire tout ce que je veux et vous ne vous méfiez pas.

Ce qui vous permet de toucher à des choses très profondes.
Je dirais plutôt « naturelles ». Je suis un être humain, j’ai un cœur, une morale, un cerveau qui essaie de réfléchir. J’ai des choses à dire sinon je la ferme. Les choses dont je parle me semblent tellement évidentes, les injustices criantes…S’il y a un camp de concentration à côté, il faut être révolté. C’est aussi simple que ça. Pour « Dilili », le camp de concentration est partout, dans tous les pays du monde. Il est curieux qu’on n’en parle pas plus parce que les guerres, par rapport à ce que les hommes font aux femmes, sont des phénomènes négligeables. Elles font beaucoup moins de morts.

Même si j’ai 74 ans, je suis une personne cohérente depuis ma naissance, je n’ai absolument pas conscience de mon âge grâce à la médecine et à l’organisation socialiste de la France. On me soigne, je me porte bien et je n’ai pas conscience d’avoir à ralentir. Je bouillonne et pour moi la vie est belle.

 Avec Dilili, je n’ai pas été politiquement correct. Le film a fait l’ouverture du Festival d’Annecy cette année. Je vis avec Annecy depuis 1969/70. Je n’ai pas raté un Festival depuis, j’ai donné toute ma vie à Annecy, j’ai très longtemps été membre du conseil d’administration du Festival. A mon âge, j’ai eu l’impression que tout Annecy me rendait hommage parce que j’ai bien fait mon boulot.

Michel Ocelot chez lui, à Annecy ©Didier Devos
Michel Ocelot chez lui, à Annecy ©Didier Devos
Avec Dilili, vous jouez beaucoup du paradoxe, une gamine plus intelligente que les adultes, qui vient d’ailleurs...
Qui parle mieux que les Français.

C’est un peu le même principe que « Les Lettres Persanes » de Montesquieu, ou que dans certains contes de Voltaire. Vous-même avez vécu en Afrique, ce qui donne ce regard sur la réalité.
C’est le « Huron » en Basse Bretagne. C’est une petite fille qui mène une enquête policière parce que, justement, on enlève des petites filles. Elle va d’indice en indice et il y a chaque fois un personnage extraordinaire qui a réellement existé.

   Je voudrais que les gens se rendent compte que nous sommes sensationnels. À propos de la Belle Époque, on pense d’abord « froufrou » mais Paris était un repère de génies venant de tous les pays du monde, qui avaient le droit de travailler, de s’exprimer, de lire, de faire lire, d’ouvrir des fenêtres, de penser tout seuls. Oui, je trouve utile de rappeler que nous sommes bons, qu’il n’y a pas que des salauds qui violent et tuent les femmes et les petites filles. Il faudrait que je me trimballe la liste de ces gens que je cite. (rires)

Vous utilisez le conte comme un cheval de Troie.
Ouuui ! Le conte et l’animation. Depuis que je fais de l’animation, des gens ont gravé sur mon front, au fer rouge, « enfant », alors que je ne pensais pas du tout faire des films pour enfants. Je n’en ai jamais fait, mais animation + contes de fées me permettent de dire tout ce que je veux sans que les gens se méfient. Pour « Azur et Asmar » et pour « Dilili à Paris », je me suis donné d’abord une dimension morale. « Azur et Asmar », c’est ici et maintenant tous les gens qui  se détestent, l’hostilité ordinaire entre les immigrés et les installés, les Chrétiens et les Musulmans, avec « Dilili », ce sont les horreurs qu’on fait aux femmes.

Grâce à vous, à Kirikou, la production française d’animation a été vraiment lancée, avec plus tard des films comme « Les triplettes de Belleville »…
« Persépolis »… Pour la profession, il y a avant et après Kirikou. Avant, on fait de loin en loin un long métrage dont on parle peu, après Kirikou, on fait plusieurs longs métrages par an.

Philipp Pullman, à qui on devait décerner un prix de littérature jeunesse, l’avait refusé en avançant qu’il n’y a pas de littérature liée à des tranches d’âge.
Ça me plaît assez. Souvent, ce n’est pas bien de faire des livres ou des films pour enfants parce que ceux-ci vivent avec nous. Ils voient la réalité, la télévision, ils voient les gens dans la rue, les incivilités, les méchancetés. Un film qui filtrerait cette réalité et se limiterait à ce que les enfants ont déjà vu ou entendu serait très mauvais. Quand on pense aux enfants, il faut multiplier les informations au lieu de les filtrer.

Michel Ocelot chez lui, à Annecy ©Didier Devos
Michel Ocelot chez lui, à Annecy ©Didier Devos
Vous êtes déjà attelé à votre prochain film ?
J’ai plusieurs projets mais le plus avancé est un conte de fées très joli, très ironique, avec des femmes qui ne se laissent pas faire. Une turquerie 18° siècle. J’ai depuis longtemps envie d’utiliser les costumes turcs, ottomans. Ils sont délirants, très beaux, avec d’énormes turbans, des caftans…

Comme chez Molière ?
Oui, oui… c’est le grand mamamouchi. Ce sera une turquerie qui me permettra de me reposer un peu de Dilili et de son côté un peu dur. Une chose légère mais pas bête du tout dont le titre est « La princesse des roses et le prince des beignets ». Ça ne fait pas très sérieux mais ce sera très agréable. Le problème, pour l’instant, est le format de 30 minutes environ, associé à un autre conte de même longueur.

Quand vous avez écrit Kirikou, vous vous attendiez à un tel succès ?
Oui ! J’étais prêt à la fois pour la catastrophe et pour le succès mondial. (rires)


 

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