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Frédéric Lenormand, le diable s'habille en Voltaire !


Le romancier Frédéric Lenormand a eu la gentillesse de répondre aux questions de Move-On Magazine.


| Publié le Lundi 9 Mai 2016 |

Frédéric Lenormand, le diable s'habille en Voltaire !
Vous aimez lire ?

Alors vous connaissez déjà Frédéric Lenormand ou aurez plaisir à découvrir ses romans. Ils pétillent d’inventivité, d’esprit, jouent de et avec l’Histoire.
Certains d’entre eux font revivre Voltaire qui vécut aux Délices, près de Genève et ensuite à Ferney où sa demeure est devenue propriété de l’Etat en 1999.

Les premières lignes de votre biographie proposée par un site relèvent d’un déterminisme qui vous mène inévitablement à l’activité d’écrivain et plus tard à la suite de romans qui composent la série Voltaire mène l’enquête.
L’idée de faire revivre Voltaire repose-t-elle sur une forme d’inconscience, de défi, de confiance immodérée en vous–même, sur le jeu, le pari ?

Je suis entré en résonance avec Voltaire.
Voltaire est un sur-moi, comme Scarlett O’Hara est une version garce de Margaret Mitchell ou Arsène Lupin un Maurice Leblanc qui oserait tout : quelqu’un qui tient de l’auteur, mais de mieux que l’auteur, plus complet, doté de plus grandes capacités, et qui réalise ses phantasmes. 

Eventuellement aussi ceux du lecteur, du coup, s’ils ont les mêmes (être une garce ou un gentleman cambrioleur).
C’est ce qui réduit beaucoup mon lectorat : tout le monde ne se rêve pas en philosophe à perruque cabotinant dans les salons Louis XV pour la plus grande gloire de la pensée et pour la sienne.
 
Le chapitre trois de Zadig ouvre des perspectives sur la méthode de Voltaire, que vous reprenez avec bonheur et jubilation.
Est-ce que la succession des titres dans cette collection Voltaire mène l’enquête vous apporte plus de liberté, d’assurance, de possibilités de jeu au fur et à mesure que vous avancez ?
 
L’écriture de ces romans n’est pas un jeu, c’est un combat entre Voltaire, le lecteur et moi.
Chacun de nous trois a pour ce récit des attentes différentes, et ça ne s’arrange pas au fil des ans. Voltaire tient à donner sa vision du monde et à se mettre en valeur (ça rate en général), le lecteur veut suivre une intrigue policière palpitante avec des enjeux capitaux et des meurtres sordides (berk), et moi je veux m’amuser et faire de la littérature (ce n’est pas bien, je sais que j’ai tort, mais je ne peux pas m’en empêcher).
 
Quel plaisir particulier y-a-t-il à mêler le roman policier (qui a beaucoup évolué récemment), le roman historique et le livre d’esprit ? 
Mêler trois genres, c’est échapper à chacun d’eux. Si plusieurs genres se mélangent, le public a du mal à étiqueter le livre, il y a trop de choses à inscrire sur l’étiquette pour la faire tenir sur la couverture. Alléluia.
Le seul genre dans lequel un auteur exigeant doit écrire, c’est dans un genre inventé par lui. Mon genre romanesque, c’est le roman lenormandien.

Si le texte ne reflète pas la personnalité de son auteur, il ne présentera pas longtemps un intérêt pour quiconque (même si les lecteurs l’ignorent eux-mêmes).

Le roman doit d’abord être personnel, et ensuite, en plus, il doit être bon. Je crois que le véritable but de l’écrivain est de devenir complètement original et inclassable. C’est une souffrance, on vous le reprochera, mais c’est la seule réussite durable. On reprochait à Flaubert de faire du Flaubert, mais au bout du compte il n’est plus resté de tout cela que Flaubert. Les écrivains sont des gens qui gagnent leur combat après leur mort.
 
Partir d’un personnage aussi connu que Voltaire semble constituer pour vous davantage une planche d’envol qu’une contrainte. 
Evidemment Voltaire se charge d’assurer la publicité de mes livres. Mais c’est moi qui suis son employé, non l’inverse.
Il m’a embauché, je suis à son service, il me lâchera quand il voudra. Il fait ce qu’il veut tandis que je fais ce que je peux. Il est immortel et je ne fais que lui prêter un peu de mon temps, de mon travail et de mon imagination pour un moment donné.
Mes livres ne sont qu’une pierre de son temple, une pierre un peu tordue, un peu rose, un peu bizarre. Et chaque fois que je relis ses contes ou sa correspondance, il m’apprend quelque chose sur la littérature.
 
Comme à la lecture du roman de Laurent Binet La 7° fonction du langage, on a l’impression que votre écriture et votre regard, en décapant une « idole » lui redonne vie, la délivre d’une approche scolaire ou universitaire.
Voyez-vous d’autres écrivains, d’autres personnages qui se prêteraient avec bonheur à ce traitement ?

J’ai fait ça toute ma vie, avec Victor Hugo dans Les Fous de Guernesey ou Les amateurs de littérature, et dans L’ami du genre humain, où je raconte comment Corneille a écrit en secret les comédies de Molière, avec La Jeune Fille et le philosophe, sur Voltaire à Ferney, et récemment avec Qui en veut au marquis de Sade ? chez J’ai Lu.

En réalité, je ne fais que ça, ressusciter des écrivains du passé (je ne peux pas dire « des écrivains morts », ils sont plus vivants que la plupart de ceux d’aujourd’hui). Cela me permet de joindre deux passions : l’histoire et la littérature.

En fait, je ne cesse de proposer des réponses à une seule question :
Comment pouvait-on être écrivain à ces différentes époques ?
Je crois que c’est parce que je cherche au fond de moi la réponse à cette question :
Comment puis-je être écrivain aujourd’hui ?
Je n’ai pas encore trouvé la réponse, c’est pourquoi je continue d’écrire.

 


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