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Move-On Magazine

Architecture de Pascal Rambert à Bonlieu Scène Nationale. Du 7 au 10 janvier 2020


Archi…


| Publié le Mercredi 8 Janvier 2020 |

_ Tu as vu « Architecture » ce soir ?
_ Oui.
_ Et ?
_ Et je l’ai vu.
_ Mais encore ?
_ C’est comme un yaourt aux fruits avec trop peu de morceaux de fruits par rapport à la quantité de yaourt.
_ Oui, mais il y en avait tout de même.
_ Certains sentent un peu la conserve.
_ Tu avais déjà vu du Pascal Rambert, et tu y es retourné !
_ Jamais deux sans trois. « Actrice » et « Sœurs » m’avaient donné la même impression. Quelques mordus de Rambert m’avaient assuré que c’est normal, c’est moderne, d’où l’absence de véritable narration. Mais la narration, je m’en fiche ; Diderot était déjà drôlement moderne. Pour moi Rambert est aussi moderne que l’architecture de Portzamparc à Annecy est futuriste…dans le style années 60.
Ces trois pièces habillent de langage quelque chose dont l’existence-sous cette forme- ne semble pas nécessaire, ce qui en fait des re-présentations excentrées, excentriques.
_ C’est peut-être l’intention de l’auteur/metteur en scène.
_ Pourquoi pas ? Mais ces interminables tirades sur l’importance- avérée-du langage n’épargnent pas le spectateur, lui infligent explications, commentaires, définissent le langage performatif, des fois que…aucune ellipse alors que le texte évoque cette notion ; in extenso les acteurs effectuent devant le public leur gymnastique mentale imposée par le texte, et les bonnes intentions ne suffisent pas. On sature, tout est surligné, surjoué au point qu’on ne reconnaît plus la diction d’un Jacques Weber si fin habituellement.
_ Tu n’as rien retenu de positif ?
_ Si, quand on joue un long silence sur scène, le silence est long pour le public : la mise en scène est honnête et on ne peut qu’adhérer quand il est dit, plus ou moins, qu’une phrase signifie exactement ce qu’elle énonce. C’est un peu comme la réforme des retraites, beaucoup sont pour mais en désaccord sur la finalité et la méthode.
J’ai même noté quelques répliques, qui perdent de leur pertinence une fois tirées du contexte. Mais y en a-t-il vraiment un ?
« Cette envie de détruire le monde…Tu vas nous montrer que quand nous parlons nous ne disons rien. »
« Vivre consiste pour tant de gens à vous tirer vers le bas. Petits ils sont, petits ils vous veulent. »
« Ecoutez ce silence. Nous allons mourir, nous ne le savons pas encore. »
« Il en faut de la compassion, crois-moi, pour t’écouter sans parler ». De ma place de spectateur je pensais exactement la même chose.
« Il y a quelque chose de mortel dans le couple. Avant l’Etat, c’est le couple qu’il faut abattre. »
«  Nous sommes outranciers non par goût mais par peur intégrale du vide. »
« Nous ne faisons plus les gestes si nous ne disons plus les mots. »
« Qu’est-ce que la vie nous a fait(s) ? Ou plutôt, qu’est-ce qu’elle ne nous a pas fait(s) ?
« Un individu c’est comme un pays, ça se retient, et boum. »
« Architecture » revisite (c’est à la mode) des évidences et le spectateur un peu averti devance toutes les éventuelles intentions de l’auteur.
Nous survolons le pléonasme permanent, l’auto-paraphrase et frôlons la tautologie dont Roland Barthes parle si bien. Jusqu’à cette scène où mari et femme sont l’un et l’autre dans la bouche de l’autre, jouissance sexuelle et langagière.
_ En résumé ?
_ En résumé cette formule attribuée à Confucius
« Lorsque les mots perdent leur sens
Les gens perdent leur liberté »
Il faut tout de même noter le plaisir de voir sur scène Denis Podalydès, Jacques Weber, Anne Brochet, Emmanuelle Béart et les autres dont la seule présence comble l’absence d’invitation au voyage d’Architecture.
_ C’est bon, terminé ?
_ Une dernière remarque, cette dimension d’absolu qui transpire de ces titres sans article, juste des noms qui veulent sonner comme des évidences « Actrice.. Soeurs… Architecture… »

_ Mais puisque la pièce traite de l’importance du langage, elle parle bien de quelque chose ?
_ De la querelle éternelle des Anciens et des Modernes, du Père et des enfants, des intellos et des pas intellos, de l’amour , de la sexualité, de la violence, de la solitude…de quoi ne parle –t-elle pas ?
Les bandes son enregistrées sur les magnétos (Revox ?) représentent le fil de nos vies déroulés par les Parques, le divan nous explique qu’on se livre sur scène/cène à l’analyse de notre temps, de l’architecture qui le soutient et le sous tend.
Ça me fait penser à ce dessin de Sempé: une jeune femme accueille une classe de primaire à l’entrée d’un musée et annonce :
« Je vais vous montrer ce que vous allez voir. »

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