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Move-On Magazine

Rencontre avec Nicolas Chalvin qui dirige l’Orchestre des Pays de Savoie


Passion et émotion au service de la musique


| Publié le Lundi 19 Août 2019 |

Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre ?
La direction d’orchestre m’a toujours passionné. La musique d’orchestre offre une palette d’émotions très grande. J’adorais voir Karajan, Giulini habités par la musique. J’étais fasciné par leur manière de transcender le son, d’embrasser la musique dans sa globalité.

Comme musicien déjà – j’étais hautbois solo dans de très bonnes formations – ce qui m’intéressait était de jouer dans un orchestre. Le passage à la direction correspondait à cette envie.

Une question sans doute naïve, comment définiriez-vous un orchestre ?
On peut faire la différence entre une harmonie et l’orchestre, entre l’orchestre de chambre, le symphonique ou philharmonique…certains orchestres de chambre n’ont pas besoin de chef…

Vous remettez en question le statut du chef d’orchestre !
On peut. Du temps de Bach, des premiers classiques, lorsque l’on commençait à monter des orchestres, il n’y avait pas vraiment de chef placé devant. C’était le violon solo ou le maestro al cembalo, le claveciniste qui dirigeaient. Le kappelmeister en allemand, ce qui fut le cas de Mozart.

Les orchestres se sont agrandis avec Beethoven et à la fin du 18° siècle on a demandé, en Angleterre je crois, au premier violon de poser son instrument et de faire des gestes. On s’est rendu compte que c’était plus efficace, plus précis. C’est d’une certaine façon le kappelmeister qui a troqué son archet pour une baguette, qui est un outil de précision. Mais il faut préciser qu’il existe des orchestres sans chef.

Est-ce qu’un chef a un son particulier ?
Avec Karajan il y avait un son Berlin, à Vienne il y avait le son de Vienne avec Karajan. Quand Toscanini a dirigé à Philadelphie, l’orchestre a pris une autre sonorité. Du fait de son physique, chaque chef a sa sonorité. Chacun a un impact physique sur le son de l’orchestre, ne serait-ce que sur le tempo choisi qui va conditionner une réponse.

Que regardez-vous quand vous dirigez ? On a l’impression que vous voyez tout. Comment se fait l’échange avec l’orchestre ?
C’est quelque chose qui se travaille toujours. Je ne dirige pas par cœur, je lis la partition mais il faut regarder la personne qui va jouer, lui donner un départ si elle en a besoin, ou parfois ne pas la regarder pour ne pas la troubler. Pour un solo délicat, on fait confiance, un sourire peut suffire.

Les musiciens ont besoin de savoir qu’on les suit, d’être encouragés ?
Bien sûr, c’est une question de management. Le côté humain est fondamental.

Ce qui nous amène à l’Orchestre des Pays de Savoie. Vous le dirigez depuis…
Dix ans. Comme c’est un orchestre permanent, à travers les arrivées et les départs de musiciens l’histoire se perpétue.

Comme dans les grands tonneaux dans lesquels on tire du vin chaque année et dans lesquels on refait le niveau ?
Presque ! (rires). Pour moi, c’est comme un noyau d’énergie de science fiction qui roule et se transforme. L’évolution correspond à ce que j’ai amené en dix ans, consciemment ou non. Je donne une direction mais c’est une patte artistique collective. Ce sont des alchimies.

Des alchimies et des conversations entre les compositeurs, les époques où les œuvres ont été écrites, l’orchestre, les publics…Comment se décide la manière de jouer ?
C’est compliqué. Tout le monde est force de proposition musicale. J’arrive parfois avec une idée très précise mais je vois ce qui m’est proposé par l’orchestre, par le jeu des musiciens sur un vibrato, sur une longueur d’archet. Les répétitions ne consistent justement pas à opérer toujours dans des carrés bien précis mais à bâtir ensemble une version qui va évoluer aussi au fil des concerts vers une plus grande confiance qui va permettre d’aller plus loin. La salle aussi compte, comment elle sonne.

Nous avons déjà eu l’occasion de discuter au château de Duingt ; vous envisageriez de jouer en plein air ?
C’est délicat pour la musique non amplifiée. Et puis les instruments sont très sensibles à la température, ils répondent moins bien en dessous de 16 ou 17 degrés, la répartition du son n’est pas la même.
 

Le célèbre concert de Cologne de Keth Jarreth s’est tenu avec un piano qui ne lui convenait pas du tout. La contrainte donne parfois des résultats étonnants.
C’est un autre phénomène, oui. La difficulté oblige parfois à se concentrer sur l’essentiel. C’est la même chose au tennis, dont nous avons déjà parlé ; la fatigue, par exemple, oblige à jouer à l’économie et à se concentrer. Beaucoup de paramètres interviennent qui nous font aller parfois sur l’enthousiasme, ou bien sur le soin des phrasés. Il y a de nombreux équilibres à trouver.

La grande majorité du public n’est sans doute pas consciente de toutes ces nuances.
C’est pourquoi il faut viser l’émotion. Elle dépend du soin que l’on a apporté à tout ce que nous avons évoqué. Je comprends d’ailleurs qu’on puisse un peu décrocher au cours d’un concert, gagnés par un aspect un peu méditatif. Les émotions peuvent emmener le public…

Vous préconisez l’écoute sur chaise longue avec cocktail à la main ? (rires)
Chacun va se concentrer sur un aspect particulier, les musiciens, le côté spectacle. Les musiciens eux aussi ont des écoutes très différentes. Chacun a sa sensibilité, ses priorités et c’est le mélange de tout ça qui justifie la nécessité d’un chef d’orchestre pour le synchroniser, pour créer une convergence. On peut lire la volonté musicale d’un chef en voyant ses gestes.

On revient à l’importance de la dimension humaine et physique.
Elle est primordiale. La part du physique est incroyable. C’est un métier de grande concentration, de grande précision, athlétique qui se met entièrement au service de l’œuvre afin de la faire vivre et de la mettre à la portée du public.

On peut penser qu’autrefois la musique était destinée à une élite. Il est vrai qu’on la retrouvait principalement dans les classes bourgeoises, mais il y avait beaucoup d’harmonies, de fanfares ; il est sûr que les orchestres sont nés dans les villes, dans les grandes métropoles. Actuellement le niveau des orchestres est extraordinaire.

Vous écoutez beaucoup d’orchestres. Un grand cuisinier me disait récemment que le plus difficile est de ne pas piquer les idées des autres, de rester soi-même.
C’est un jeu permanent d’allers retours mais je reviens à l’idée d’élitisme. Le tissu social des salles où nous jouons nous permet de mettre en place des médiations, que ce soit à Annecy, à Chambéry, à Albertville ou Evian. La diffusion de la culture est effective.

Et amplifiée par le fait que les mêmes salles accueillent du théâtre, de la danse, des concerts très variés ou de la musique classique.
Il y a un élan démocratique de plus en plus marqué pour la musique et il est possible de faire partager ces émotions aux plus jeunes. On peut adorer une symphonie de Beethoven et du heavy metal, faire aussi du parapente. Ce sont des émotions qui ,en musique, nous relient par-delà le temps à ceux qui les ont vécues avant nous et marquent la permanence de la vie.

Cette saison vous serez à Bonlieu avec Jean-François Siegel. On revient à cette idée de partage.
Toujours dans l’idée de rendre la musique accessible.
En dehors de la musique classique, qu’est-ce que vous aimez écouter ?
Du jazz, Duke Ellington, Abbey Lincoln, Ella Fitzgerald, Thierry Lang….

Et nous continuons de parler de synesthésie, de musique ou d’art contemporain associés à la gastronomie. La passion et les émotions voyagent bien !

 

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