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Move-On Magazine

Rencontre avec Guillaume Giovanetti pour le film Sibel


Sibel, film de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti


| Publié le Dimanche 3 Mars 2019 |

Affiche du film "Sibel" de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Affiche du film "Sibel" de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti
L'association Plan Large et les Cinémas Les Nemours, d'Annecy, présentaient le film Sibel en avant première ce vendredi 1er mars 2019.

   Tolkien inventaient des langues et imaginait ensuite des histoires pour les incarner, d'où Le Seigneur des Anneaux...
   Çagla et Guillaume partent de leur intérêt pour le langage, pour la communication afin d'inventer des histoires dont ils font des films.
   Sibel en est un exemple qui touche au coeur de la communication ainsi que celui du public.

Votre film recèle des paradoxes intéressants, une jeune femme muette qui s’exprime plus et mieux que les autres protagonistes, par exemple. C’est d’ailleurs elle qui débloque la situation.
Il est intéressant de commencer avec le mot « paradoxe » car nous souhaitions placer notre film dans la complexité. Ne pas être manichéens, ni simplistes.
   Le personnage de Sibel est à la marge de sa communauté parce qu’elle est muette, donc handicapée, donc différente ; mais elle a aussi une personnalité très forte qui fait qu’elle n’accepte pas de rentrer dans le moule, elle s’oppose aux gens du village par son comportement, par sa personnalité. Elle participe d’une certaine façon à sa marginalisation.
   Nous avons essayé de garder la complexité de chaque élément de la narration, de chaque personnage.

Comme Ali, le terroriste qui est lui-même terrorisé. Cette complexité est amplifiée par la TV qui apporte un point de vue urbain différent de la réalité du village où se situe l’action.
Ali vient de l’extérieur, il génère une sorte de peur chez les autorités locales et chez les villageois justement parce que les autorités utilisent une sorte de rhétorique. Il est possible d’élargir cette notion de peur de l’étranger, de l’inconnu bien au-delà de ce village.
   Il faut relever que dans ce village tout le monde est armé…sauf Ali qu’on traite de terroriste.

Est-il vraiment un terroriste ? Rien ne permet de l’affirmer.
Nous voulions garder ce questionnement, en livrant très peu d’informations sur lui à l’exception de celles qu’il donne à Sibel et dont on ne sait pas si elles sont vraies ou non.
   Ceci rejoint notre souci habituel de nous faire notre propre opinion plutôt que de faire rentrer les faits et les gens dans des cases préétablies. Avec Ali, nous voulions nous garder de juger le personnage.
 

Guillaume Giovanetti avec le public des Cinémas Nemours ©Didier Devos
Guillaume Giovanetti avec le public des Cinémas Nemours ©Didier Devos
Pour revenir aux paradoxes, Sibel est à la marge mais protégée par son père qui est le maire du village.
   Le personnage du film est inspiré du vrai maire du village de Turquie où nous avons tourné. C’est un personnage curieux de tout, tourné vers la modernité dans un environnement plutôt traditionnel. Nous nous sommes inspirés de la relation qu’il entretient avec sa fille Sibel, qui a donné son titre au film. Cette relation repose sur une égalité mutuelle qui confère toute sa liberté à la fille qui n’a donc pas à se plier aux règles sociales de son village. Ceci participe au double mouvement d’exclusion de Sibel parce que les femmes du village sentent bien qu’elle a plus de liberté qu’elles-mêmes, d’où leur jalousie qui renforce la marginalisation de la jeune fille.

Le film montre les aspects rétrogrades de la tradition mais aussi ses effets positifs pour la communauté. La crise que vous montrez dans votre film représente une sorte de réajustement des pièces qui composent la communauté.
Le patriarcat continue de se perpétuer dans cette région comme une petite chaîne de transferts entre les gens. Nous le montrons avec le personnage du père qui devient de plus en plus faible en établissant cette relation d’égalité avec sa fille et de plus en plus sensible aux pressions alors qu’il est progressiste ; mais il est intéressant de voir comment ce système de patriarcat est propagé par les femmes elles-mêmes parce qu’elles sont dans une compétition permanente pour trouver leur place au sein de la société. Au lieu de s’entraider, elles sont dans la rivalité qui permet à ce système de continuer d’exister.
   Le personnage de Narin, cette vieille dame isolée, est très important. Avec Sibel, elles ont eu des trajectoires similaires, mais le changement de génération, la personnalité particulière de Sibel, sa force, sa rencontre avec Ali font que son histoire personnelle trouve une autre issue. Narin est là cependant pour rappeler certains éléments très importants de la tradition, comme le feu du Rocher de la mariée, cet espace où les femmes pouvaient s’épanouir, trouver leurs forces, se serrer les coudes pour redescendre dans l’espace du village.

D’autres lieux sont importants, comme celui où se cache Ali, interdit à cause de la présence d’un soi disant loup.
La thématique du loup est très présente dans le film, avec des symboles, des métaphores. Sibel veut le tuer à la fois pour libérer les femmes que l’on contraint de rester dans certaines limites et aussi pour se rendre utiles à toutes et trouver sa place au village.
   Et puis Sibel cherche quelque chose…qu’elle a en elle-même sans s’en rendre compte. Une force animale, un peu primitive qui s’exprime maladroitement avant qu’elle ne la maîtrise et arrive à l’utiliser de manière positive, par exemple au service de sa petite sœur.

Guillaume Giovanetti pour le film Sibel - Avec le public ©Didier Devos
Guillaume Giovanetti pour le film Sibel - Avec le public ©Didier Devos
Et la langue sifflée ?
Elle est à l’origine du film. Nous nous sommes rendus dans ce village de Turquie pour cette raison. Dans nos précédents films, Ningen tourné au Japon et Noor au Pakistan, nous partons de la communication ou de l’incommunicabilité.

   Nous avons acheté en 2003 un gros livre  passionnant de 2000 pages « Les langages de l’humanité », de Michel Malherbe, qui contient quelques phrases sur une langue sifflée dans un village du nord de la Turquie. Nous avons cherché ce village pour nous informer sur cette langue, sans idée de tourner un film. Comme il y a un risque qu’elle disparaisse, les villageois ont décidé de la faire enseigner à l’école.
Jusqu’à Sibel, nous avions travaillé avec des acteurs non professionnels mais nous voulions faire appel à des comédiens de métier dans les rôles principaux pour Sibel. Immédiatement Damla Sönmez s’est imposée à nos esprits pour le rôle principal. Elle est très connue en Turquie. Nous lui avons exposé quelques lignes du scénario… qui n’existait pas encore. Et elle a manifesté aussitôt son désir de faire le film avec nous. Sauf qu’elle ne savait pas siffler.

   Comme le désir et l’implication comptent pour nous davantage que la technique, nous l’avons emmenée au village pour qu’elle passe du temps avec les femmes, qu’elle coupe le thé dans les champs et qu’elle puisse apprendre la langue sifflée avec l’un des professeurs de l’école. Elle a réussi à maîtriser suffisamment la langue sifflée pour improviser certains dialogues dans le film.

C’est d’ailleurs très drôle quand Ali s’initie au langage sifflé et que les sous titres font apparaître ses erreurs.
A cause de ce qu’elle a vécu, de la rage qui l’habite, Sibel ne rit jamais, sauf dans cette situation. Elle en rit, mais se retient. C’est l’un des premiers éléments déclencheurs qui la libèrent.

Damla Sönmez a été couverte de prix avec ce film.
C’est vraiment une très bonne actrice. Oui, elle a eu beaucoup de prix d’interprétation, elle a été nominée aux Oscars australiens. Son rôle est très physique, elle dégage une puissance incroyable.

Guillaume Giovanetti pour le film Sibel © Didier Devos
Guillaume Giovanetti pour le film Sibel © Didier Devos
Le son est très présent, les respirations… sans une note de musique.
Nous avons « fabriqué » du silence, le silence de la forêt avec notre ingénieur du son. On entend par exemple des cigales japonaises à un moment. Nous avions gardé ce son d’un précédent film, il participe à cette ambiance très particulière de la forêt.

   Il était évident que la mélodie du film devait être donnée d’abord par la langue sifflée. D’où ce clip pendant le générique de début. Pendant le montage, nous avons essayé diverses musiques mais aucune ne convenait parce que nous nous avons réalisé que c’est la respiration de Sibel qui rythme chaque plan du film en fonction de ses émotions du moment.

L’absence de musique ajoutée renforce la relation vitale avec la nature. C’est un film sur la nature, sur la nature humaine aussi. Sur ce qui nous fait humains.
Ali vient de la ville, Sibel est toujours restée dans son village et, de plus, ils n’ont aucun moyen de communiquer .Nous voulions montrer que, si l’on veut communiquer, on y arrive toujours. Au début de leur rencontre, il y a une dimension très animale, que souligne la fourrure du vêtement d’Ali. Il évoque un peu le loup. Ils se battent, ils se mordent et ils arrivent à tisser un lien riche et profond à travers cette relation animale alors qu’en bas, dans le village, les choses sont encore plus conflictuelles.

Comment s’est déroulé le tournage ?
Comme nous faisions jouer ensemble des professionnels et des non professionnels nous avons pris le temps nécessaire pour établir des rapports de confiance. Nous nous sommes rendus dans le village des dizaines de fois avant de tourner le film et la relation s’intensifiait chaque fois. Nous avons demandé aux villageois de nous raconter des histoires, aussi bien sur la vie quotidienne que sur l’histoire du village. Beaucoup d’éléments du film viennent de ces récits, le Rocher de la mariée, la vieille dame isolée dans sa maison, le loup qui menace le village. Le scénario s’établit dans cet échange et dans cette confiance qui leur permettent de voir que nous ne leur volons rien.

   Ils nous ont aidés, on les a employés pour le tournage, comme chauffeurs… nous leur avons tout le temps demandé leur avis sur le scénario, si bien qu’il n’y a eu aucune surprise quand on leur a montré le film.

   Deux mois plus tard, Sibel a été sélectionné pour Adana, le plus grand festival de cinéma en Turquie et a remporté trois prix, pour l’interprétation du père, de Sibel et le Grand Prix du Festival.
   Le film évoque quelques éléments politiques qui ont suscité un débat. La sortie officielle a eu lieu il y a quelques jours et les retours correspondent à ce qui s’est produit lors des festivals. La Turquie est un grand pays, avec des strates, des couches sociales très variées et la complexité du film, qui n’impose aucune lecture, permet d’ouvrir la discussion.

   Le rap final souligne cette complexité. Il intervient après ce temps passé dans un village pour dire qu’il y a d’autres choses intéressantes aussi. Les paroles qu’a imaginées la rappeuse correspondent à ce que pourrait dire Sibel si elle parlait.

  C’est un film très local, avec cette langue sifflée, qui n’aurait pas pu être tourné ailleurs, mais le public souligne son côté universel. Il touche tout le monde.

 

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