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Move-On Magazine

Rencontre avec Dominique Pitoiset


Pour parler de théâtre, d’écologie humaine, celle qui englobe tout intelligemment.


| Publié le Jeudi 8 Août 2019 |

Dominique Pitoiset, de la tête...
Dominique Pitoiset, de la tête...
Nous suivons toutes les créations de Dominique Pitoiset à Bonlieu Scène Nationale depuis le si puissant « Un été à Osage County ». En novembre 2019, ce sera à Annecy la création de « Linda Vista » encore une fois sur un texte de Tracy Letts.

Nous l’avions rencontré en décembre 2018 pour la création de « A love supreme » sur un texte de Xavier Durringer, occasion de parler de cette pièce mais aussi du théâtre, de la vie comme elle va, de philosophie, de culture…

_ Le texte de Xavier Durringer fait l’éloge du stoïcisme. Essaye de conformer tes désirs à l’état du monde plutôt que d’avoir la prétention de changer le monde.
La problématique de cette pièce est celle du théâtre lui-même : est-ce qu’il est un lieu dans lequel un cercle cherchant à se faire du chaud autour d’une flamme souffle sur les braises pour qu’elles fassent flamme et réchauffent autour d’un feu de camp qui permet de se dire « Là, nous sommes à peu près d’accord. » Mais nous sommes hors du réel.

L’un de mes collègues italiens avec lequel j’ai de fréquentes querelles idéologiques me disait récemment « Les théâtres sont des fiefs de gauchistes, plus nous en éradiqueront les gens de culture, plus nous pourrons faire gagner notre cause (celle de la Ligue).
A Zagreb où j’ai été couvert de crachats pour la création d’une Manon Lescaut, quelqu’un m’a dit « Vous avez été invité comme artiste européen, maintenant aux yeux de l’extrême droite, vous n’êtes qu’un indésirable depuis que notre ministre a fait un discours sur l’art national et sur l’identité nationale. On va faire notre Europe et éteindre vos Lumières à vous, Français si arrogants ».

Avec l’œuvre de Xavier, je me suis dit que j’allais faire une galerie de portraits des improbables, de ceux qui ne pèsent rien. En choisissant l’homme et la femme blanche de plus de 50 ans dans notre monde néo libéral, on n’intéresse pas grand monde. Il s’agit de poser la question du réveil sur le mode ironique ou sarcastique « Alors, on fait quoi ? »
 
 

...aux pieds. Photos © Christophe Rassat
...aux pieds. Photos © Christophe Rassat
L’évolution politique actuelle va vers l’idée qu’il n’y a qu’une réalité et qu’elle n’a qu’un sens, celui des statistiques, des chiffres, de la gestion… et vous, vous êtes toujours à l’opposé, dans la polysémie : dans « A love supreme », les hublots des machines à laver sont aussi des tourne disques, des écrans de télé ou d’ordinateur… Vous tournez toujours autour de la notion de norme, de normalité pour montrer que tout est interprétable, tout se transforme. Vous donnez à voir une multitude de points de vue.
Je n’y avais pas encore pensé mais j’ai écrit pour la post face du texte qu’internet est au théâtre ce que les machines à laver ont été pour les blanchisseuses. C’est la question de la robotique. J’aimerais réaliser un spectacle avec un robot et une femme, Eve ; c’est l’Eve future (référence à Villiers de l’Isle Adam). Vous connaissez l’histoire de ce Japonais qui se soumet à la chirurgie esthétique pour ressembler au robot qu’il a créé à son image et rester jeune ?

La question du vieillissement traitée ainsi est intéressante parce qu’elle nous pousse à l’opposé de la sagesse. C’est une grosse lessiveuse, notre métier est une grande lessiveuse.
Je le pratique depuis 40 ans et je ressemble à un vieux clown qui a fait plusieurs fois le tour de piste. On tourne et puis c’est un vieux vinyle. On peut même en faire du rap mais on sait ce qui est écrit dessus.
Le texte de Xavier nous a obligés, Nadia Fabrizio et moi, à penser l’après, à sortir de cette dépendance .Quand vous montez en scène et qu’il faut ensuite arrêter, ça n’a rien à voir avec l’arrêt du diabolo menthe.

Cette grande lessiveuse nous oblige un peu à philosopher.

C’est comme en matière d’écologie : le catastrophisme est partout et au lieu de faire ce constat , de se dire qu’il faut tout arrêter, on s’y met comment, nous ? C’est ce que nous avons fait dans notre bled , à plusieurs mais je me rends compte que nous sommes totalement incapables de réaliser  l’équivalent dans le monde culturel.

On passe de l’écologie à la culture…et dans vos deux derniers spectacles vous passez de la maman (« Le livre de ma mère » avec Patrick Timsit ) à la putain avec « A love supreme ».
Oui , un ami me disait qu’il y a d’un côté un fils qui n’arrive pas à faire le deuil de sa mère et de l’autre une mère qui n’arrive pas à retrouver son fils et qu’avec moi les questions de filiation sont toujours problématiques. Il s’agit toujours de faire le deuil de quelque chose en ouvrant une porte sur un extérieur dont on ne définit jamais les contours. Ton théâtre ouvre des portes sur des territoires à conquérir. Ou à investir. Si le théâtre fait état du chaos du monde et si le tien ouvre des portes sur un ailleurs, tu ne nous emmènes pas ailleurs.

C’est certainement pour cette raison que je fais de plus en plus de photo. L’instantané va m’aider à sortir du commentaire sur le commentaire, du fil de la narration. Mais il ne faut pas trop faire le malin, tout n’est qu’histoire de biographie.

[Ce qui nous amène à la bibliothèque familiale]

L’endroit où nous pouvons nous ressourcer, mes fils et moi, est l’immense bibliothèque qui comporte des livres du sol au plafond. On va s’y poser, on discute et c’est un peu comme si la pensée sortait des bouquins (à condition de les ouvrir de temps en temps), on circule des uns aux autres. Je pratique de plus en plus ça avec la musique. C’est une tour de Babel dans laquelle j’aimerais penser un projet sur l’utopie et sur les Lumières. J’ai déjà tous les matériaux mais il sera difficile de trouver le budget pour la production.

Dans ma ville natale, Dijon, comme à Annecy, une rue de la Liberté va rejoindre une rue Jean-Jacques Rousseau…Chez moi, il y a Buffon, Diderot, Rameau, tous les encyclopédistes. Je devrais écrire quelque chose sur la traversée des siècles dans ma ville, une mise en perspective qui nous réunirait elle et moi.
 

"Linda Vista"
"Linda Vista"
Une bibliothèque est une géographie dynamique de notre pensée, des livres vers nous, de nous vers les livres, des livres entre eux.
Si on avait ce pouvoir de se brancher comme dans les films d’anticipation  avec la tranche des livres, quelle volupté ! Sur des souvenirs de 30 ou 40 ans parfois, ou bien d’être branché sur un livre qui se met à nous parler-parce que les livres nous parlent-.

L’autre jour j’ai cheminé autour de ma chambre avec Montaigne ! On croise Montesquieu, on boit un verre avec Goethe.

Avec l’âge, les sujets ne s’épuisent pas mais prennent un relief différent.
Et le nombre d’occasions à côté des quelles nous sommes passés ! Plus je vieillis, plus je me trouve inculte. C’est sans fin.
Je m’interroge beaucoup sur la question du théâtre, sur cette activité. Ce questionnement me permettra sans doute d’avoir moins de regrets quand il faudra tourner la page.

Ce qui semble vous peser, ce sont plutôt les conditions matérielles, le financement.
Oui, parce que je suis très heureux quand je répète. Mais les contraintes sont des questions de réalité de vie.
Je pratique le théâtre comme un exercice zen qui me donne parfois l’occasion de fréquenter des grands textes pour réfléchir, pour méditer. C’est un bel exercice spirituel mental et un endroit où il faut lutter pour partager. Je continue d’avoir la prétention de m’éduquer…à défaut de pouvoir éduquer les autres.
Chaque fois que j’entame un projet, je remplis un rayon de ma bibliothèque.

On sent que vous avez besoin chaque fois de faire le tour de la question. Votre mise en scène exprime-au sens premier- tout le sens d’un texte, elle le presse, en extrait toutes les possibilités.
J’ai la prétention de me soumettre à l’exercice de mon ancien prof de l’école des Beaux Arts, celui qui, le jour du concours, nous avait dit « N’entreront pas dans mon cours ceux qui savent dessiner ou me réciter par cœur un cours d’histoire de l’art mais ceux qui sont capables  de relier les 9 points de cette grille sans lever la main. » C’était fascinant pour le gamin que j’étais. Je ne connaissais pas la solution mais je l’ai trouvée. Il fallait sortir du carré pour la trouver  !
 
Dans mon travail, j’essaye toujours d’appliquer la philosophie de cet exercice qui consiste à être plus large que l’objet en ne cherchant pas à en tracer les contours mais en me demandant ce qu’il m’apprend et en essayant de le rendre un peu plus lumineux.

Je n’ai jamais eu aucun prix parce que je pense que mon travail consiste à en faire briller d’autres.

NB  La conversation est émaillée d’hommages à Nadia Fabrizio, à son jeu, à sa personne. Tout comme Dominique Pitoiset ne semble pas établir de séparation entre ses activités professionnelles et sa vie personnelle, il est évident que la scène et les sentiments ne peuvent qu’être profondément liés.
 

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