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Move-On Magazine

Festival Tous Écrans 2015, rencontre avec Emmanuel Cuénod. La règle du jeu : avoir les yeux plus gros que le ventre!


Alors que je traverse les couloirs de la Maison des Arts du Grütli à Genève, j’aperçois un petit groupe disposé en cercle sur des canapés : le noyau dur de l’équipe du Festival Tous Écrans, dans les starting blocks, à deux semaines du 1er jour de la manifestation. Décontracté et amical (« on se dit “tu” ? »), Emmanuel Cuénod, directeur général et artistique du Festival, me rejoint peu après pour parler cinéma, séries télé et digital, avec une confiance, une franchise et une passion peu communes. Les barrettes de sa fille, clipées ça et là dans son programme en guise de post-it, soulignent les incontournables de cette manifestation qui met les images et les gens au cœur de ces neuf jours, du 6 au 14 novembre 2015. Vous ne savez pas quoi choisir ?! Venez, vous verrez bien !


| Publié le Vendredi 6 Novembre 2015 |

Emmanuel Cuénod ©RebeccaBowring
Emmanuel Cuénod ©RebeccaBowring
À l’heure où les festivals sont menacés, voire ferment leurs portes, le Festival Tous Écrans ouvre de nouvelles sections et tu rallonges la durée du festival de trois jours en trois ans. Tu m’expliques comment c’est possible ?

La source, c’est bien sûr le budget, tout part de là. La vérité, c’est que le festival a beaucoup changé en trois ans, rapidement et durablement j’espère ! C’était une nécessité pour sa survie. Je pense que la résultante de cette dynamique de conquête, ou du moins d’agrandissement, répond à la dynamique inverse qui était celle d’un rétrécissement progressif du festival. C’est un festival qui était très encensé il y a une dizaine d’années, et dont le concept a peu à peu vieilli, pour des raisons que je m’explique moi-même assez difficilement. Lorsque je suis arrivé à sa tête fin 2012 pour préparer l’édition 2013, c’était en effet une manifestation qui était en récession, avec des programmes qui étaient moins bien compris et où il n’y avait plus de programmes professionnels. Ce qui m’est apparut d’emblée, c’est que si on voulait que le festival continue et qu’il se poursuive en bonne santé, il fallait procéder à un certain nombre de réformes. C’était difficile, parce que je n’avais que six mois pour faire ces réformes, avec un programme qui n’était pas du tout achevé – certains contours existaient déjà, mais rien de concret. La volonté première a été de trouver une nouvelle image - une nouvelle identité, une nouvelle signalétique - et un nouveau concept de programmation. À travers ce concept, nous avons d’emblée voulu réaffirmer notre intérêt pour la série TV – et non pas les unitaires. Nous avons donc renoncé au mélange pré-existant d’unitaires et de films de cinéma afin de privilégier ce qui nous intéressait, c’est-à-dire l’écriture proprement télévisuelle, donc cette écriture de séries. D’autre part, on a ré-injecté massivement du cinéma en lui-même comme un objet d’étude, de recherche. Et la dernière proposition que j’ai faite, avant même d’entrer dans mes fonctions, c’est celle de la culture digitale. Il faut que ce monde des nouvelles images, auquel le festival s’intéressait un petit peu, mais qui était perçu comme une espèce de marotte, de gadget, soit traité de manière très sérieuse, à la hauteur de nos ambitions pour le cinéma et la télévision. Prendre ce risque (un tiers du budget est passé en invitation, en création d’un programme professionnel réfléchissant à la question), in fine, nous a donné du leadership là où nous n’en avions plus. De cette manière, nous devenions un festival qui avait réussit son projet révolutionnaire qui était celui de réconcilier cinéma et télévision (même s’ils se sont réconciliés tout seuls avec cette grande politique des séries télé, donc on n’avait plus rien à prouver), et qui rajoutait ce nouvel objet d’exploration qu’est toute la culture digitale – qui existait auparavant dans le festival comme objet d’attention mais qui restait très marginalisé. Nous avons donc mis en place ce festival à trois piliers : le cinéma, la télévision et la culture digitale. Cela nous a permis de consolider notre position dans le paysage et ça a permis aussi à des sponsors, qu’ils soient publics ou privés, de se ré-intéresser à la manifestation d’une manière un peu plus volontariste. Rétrospectivement, c’était une bonne opération. J’ai un côté un peu « tête brûlée » : je préfère prendre une décision et l’assumer, plutôt que de tergiverser et de provoquer comités sur comités, quitte à se faire quelques ennemis politiques.

Combien êtes-vous à travailler sur le festival, en tant que permanent et en tant que bénévoles ?

À question simple, réponse complexe ! Nous sommes trois permanents, puis 4 programmateurs, ou plutôt programmatrices puisqu’il y a 3 femmes et 1 homme, spécialisés par discipline - long-métrage, court-métrage, série TV et Digital. Ce sont des collaborateurs extériorisés, au sens où ils ont un mandat d’une année durant laquelle ils répartissent leur temps de travail en fonction des besoins. Donc nous sommes sept, mais avec des taux d’activité relativement variables. Ça, c’est de novembre à mars. De mars à mai, on est une petite douzaine, en octobre, on est trente salariés, pendant le festival on doit tourner entre quarante et cinquante salariés, plus les deux cents bénévoles environ. En somme, on est une petite armée de 250 personnes. Evidemment jamais tous en même temps, mais pour s’assurer d’avoir 50 bénévoles par jours, on a besoin de cette base de 250 personnes sur la durée du festival. Donc maintenant, ça fait du monde !

Travailles-tu de concert avec d’autres directeurs de festival – je pense à Patrick Eveno sur le Festival d’animation d’Annecy ou Thierry Frémaux au Festival Lumière – pour élaborer des stratégie de développement ?

Nous avons un voisin de palier ici qui m’intéresse beaucoup, c’est Edouard Waintrop, qui est délégué général de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, et de qui j’ai pu profiter d’un certain nombre d’enseignements. Mais la vérité, c’est que j’ai eu la chance d’être critique de cinéma pendant dix ans, donc de couvrir massivement Cannes, Venise, Berlin, Locarno, un certain nombre de festivals plus petits en Suisse, Vision du Réel à Nyons aussi beaucoup, donc je me représentait assez bien ce que devait être un festival qui roule, comment étaient composées les équipe, etc. Ensuite, j’ai fait de la production chez Rita Production (qui a notamment produit le dernier film de Xavier Beauvois), un passage éclair de 2 ans et demi qui m’a permis de voir et de faire des festivals sous la casquette de la production, des invités, etc. Donc tout ça fait que j’étais assez prévenu de ce qui allait arriver ici - en plus j’ai fait parti du comité du Festival Tous Ecrans, donc j’avais une petite vue de l’intérieure, d’où la maison était rangée et où elle l’était moins. Pour finir, j’ai passé deux ans en tant que Rédacteur en chef de l’équivalent suisse de la revue Le Film Français, qui s’appelle Ciné-Bulletin, qui est la revue du cinéma suisse et des professionnels de l’audiovisuel, donc j’avais un carnet d’adresse assez important, un réseau solide qui me permettait de contacter les gens facilement pour leur parler des réformes qu’on envisageait pour le festival. Je pense que c’est important d’être fort régionalement et nationalement avant de partir à la conquête de l’international.  J’entretiens de très bonnes relations avec Patrick Eveno (Festival d’Animation d’Annecy), avec Luciano Barisone (Visions du Réel, Nyons), avec Edouard, avec Nadia Dresti (Industry Days, Locarno), qui est d’ailleurs celle qui m’a appelé pour que je prenne le job ici, à Tous Ecrans.

 

Cette approche multi-casquettes t’a permis de savoir un peu où tu mettais les pieds…

Avec du recul, je crois que c’était surtout important d’avoir une vision, à court terme, de ce qui était faisable ou pas. Après ce n’est que le début de quelque chose, on a un programme qui commence à convaincre, on a de très beaux jurys, de beaux invités, et ça c’est une très bonne chose. J’ai toujours pensé qu’il fallait consolider à partir de l’humain. En somme, il y a deux choses qu’on peut faire dans un festival : c’est persuader des gens de nous confier leur film, et ensuite de les persuader de venir les défendre. Je pense que c’est grâce à ça qu’on a réussi, en trois ans, à inverser massivement la tendance. Cette année, par exemple, on s’est retrouvé avec un programme qui ne présentait quasiment aucune perte au fur et à mesure que les mois avançaient – alors que normalement, ces pertes font partie de la préparation. D’où la journée supplémentaire, les sections supplémentaires, etc. On se retrouve avec un festival qui est à la fois plus urbain, et aussi plus nocturne – on a des gens qui viennent au festival entre minuit et 4h du matin !

On remarque un vrai engouement pour les festivals tournés vers le public – comme le MIFF (à Melbourne) ou le TIFF (à Toronto) – voire une évolution des festivals qui recherchent d’avantage l’assentiment populaire que professionnel...

Je pense qu’il y a une évolution de la société vers une plus grande démocratisation de l’accès à la culture et que les festivals se placent dans cette dynamique. Après, moi à la base, j’ai un souci avec les festivals de cinéma, c’est que je m’y ennuie. C’est bien, j’adore voir des grands films, mais qu’est-ce que je m’ennuie dans un festival de cinéma ! Il se trouve que j’ai fait aussi beaucoup de festivals de musique, et que je ne m’y suis jamais ennuyé ! Donc je me suis toujours dis « qu’est-ce que c’est dommage qu’on ne prenne pas plus de plaisir à être où on est et à faire ce qu’on fait ! ». En fait, la plupart du temps, un festival de cinéma est conçu comme une succession de projections dans un espace et un temps donné. Une sorte de super salle de cinéma. Et moi il m’apparaît qu’être une super salle de cinéma n’est pas intéressant. On doit être un lieu d’accueil, d’échanges… Idéalement, j’aimerais qu’il y ait des festivaliers qui viennent voir des films, mais qu’on soit capable de générer un temps où ils peuvent en parler. Et aussi des lieux ! Des bars, des restaurants, des dance floors, etc. Moi, je trouve ça formidable, quand on arrive à s’abstraire de sa vocation pour laisser les gens s’embrasser, tomber amoureux, s’engueuler, et que ça devienne un lieu de vie. Il faut du temps pour ça, et il faut surtout du temps hors-projections. Donc la première chose que j’ai faite en arrivant ici, c’est de déménager le festival, qui avait lieu jusque là dans la Maison des Arts du Grütli. Donc je me suis tourné vers la Ville de Genève et je leur ai demandé de me laisser cette Maison communale de Plainpalais pour que je construise des salles de cinéma temporaires. Je leur ai aussi expliqué que j’avais besoin de beaucoup d’espace pour la réalité virtuelle, pour pouvoir réaliser des projets un peu fous, et pour pouvoir accueillir le public en dehors des projections. Et ils ont été d’accord pour rentrer dans cette dynamique-là, à notre grande surprise assez rapidement, puisqu’en moins d’une année on avait obtenu le lieu, ce qui constituait une déclaration d’intention assez forte à l’égard du festival. On fait donc de cette Maison Communale, le temps du Festival, un lieu pour les images et pour les gens – d’où l’idée du drive-in dans la cour intérieure, qui a fait un pataquès pas possible, parce qu’il fallait une grue. On m’a dit « tu n'y arriveras jamais ! » - ce que j’entends quand même beaucoup dans ma vie, ce qui est bizarre, parce que trouver une grue pour soulever neuf voitures, je vois pas où est la grande difficulté. A priori on a des grues, on a des voitures, donc on devrait pouvoir le faire! Je remarque qu’il y a un goût pour ce festival qui fait les choses un peu différemment, qui est festival audio-visuel mais qui se vit effectivement un peu comme un festival de musique dans sa représentation de lui-même, qui ose faire des projets complètement décalés – l’année dernière il y avait un drive-in, cette année on construit un dôme. 

Ce que j’ai pu apercevoir de ce dôme est extrêmement excitant… et régressif !

C’est très utérin comme expérience. Nous on essaie de susciter le désir, sur des expériences que le public doit pouvoir faire. Aujourd’hui, aller dans une géode pour voir des contenus artistiques, c’est très compliqué. Soit on a la capacité d’aller à la SAT (Société des Arts Technologiques) de Montréal, ou dans des festivals leader en Europe, mais on n'a pas la possibilité de le faire à moindre coût. Et ça, c’est une question qu’on se pose beaucoup dans le festival : comment fait-on pour conserver une sorte de démocratisation de l’accès à cette culture qui est un peu problématique à Genève, quand on a un billet de cinéma qui est à 17, 20, 23, 25CHF ! Est-on encore dans un art démocratique ou déjà dans un art d’élite ? Cette question est centrale pour nous.  Il se trouve que le festival était entièrement gratuit, avant que j’arrive, et que j’ai décidé de ré-instaurer des zones payantes, mais on comprimant les prix - le billet moyen est à 10CHF et la carte du festival permet d’accéder à toutes les séances des neuf jours pour 85CHF. Pourquoi ? Par respect des acteurs de la culture qui se battent à l’année pour rentabiliser, je trouve très injuste de passer un film gratuitement. Alors, on a fait en sorte d’avoir des programmes plus ambitieux, avec quand même 60 à 70% de notre programme qui reste gratuit – seuls les gros films hollywoodiens sont plus chers, autour de 15CHF, parce qu’on a des accords avec les distributeurs.  Quand les billets sont à plus de 10CHF, tu commences à t’adresser à une élite, t’as plus les étudiants, ou justement les gens qui ont besoin de voir ces films. 

Tu nous parles un peu de votre partenariat avec la HEAD ?

Je crois qu’on est le seul festival à avoir une convention aussi large avec une école d’art – on travaille avec leurs départements de cinéma, de communication et de média-design. Avec ces derniers, on organise d’ailleurs une Masterclass autour d’un studio hollandais qui s’appelle Moniker, qui sont des gens géniaux. L’idée, c’était aussi de pouvoir proposer des projets dans lesquels nos partenaires artistiques puissent projeter leur propre identité, c’est-à-dire de dépasser le partenariat sur simple échange de visibilité. En trois ans, nos partenariats ont été multipliés par quinze, mais certains d’entre eux sont plus symbiotiques que d’autres, et celui de la HEAD l’est particulièrement. Travailler avec autant de départements d’une école, c’est déjà significatif, mais leur laisser le lead sur certains projets et leur disant, « voilà, on a conceptualisé le projet, maintenant, amusez-vous avec ça, soyez créatifs, surprenez-nous ! », c’est assez unique. Ils l’ont fait, ils ont accepté d’aller jusqu’au bout de la démarche, c’était pas facile, et surtout, ils avaient trois semaines pour le faire ! On en parlait depuis un moment bien sûr, on avait fait des travaux préparatoires, mais eux ont dessiné, conceptualisé, réalisé les cabines en trois semaines. Et encore une fois, on m’a dit « attention ! Ne fais pas ça ! Tu vas devoir gérer des étudiants ! » Mais moi je crois que si on est sûr de son projet et qu’on se projette un peu, on se dit « si moi j’étais étudiant, j’aurais envie de le faire ! ». Et c’est ce qu’on a vu ! Ils étaient massivement présents ! Ce projet a créé de l’engouement chez les élèves, donc ils n’ont pas eu de mal à venir travailler tout un week-end. Alors que je pense que si on était rentré continuellement en interaction avec eux, en leur disant quoi faire, ça n’aurait pas du tout donné les deux cabines complètement folles qu’on a, à présent ! Toi, pour l’instant, tu en as vu une, mais tu verras l’autre, elle a deux écrans, un petit et un grand. L’une a été réalisée pour aller à l’extérieur, et l’autre à l’intérieur uniquement, pour pouvoir habiter des lieux différents dans toute la Suisse. L’une d’entre elles viendra également nous rendre visite sur le Festival (grand sourire de l'intéressé, NDLR).

Sur Cinéma-Minima, le dispositif de projection semble aussi important que les contenus, le fond et la forme se tirent vers le haut ?

On a fait en sorte que tout ce qu’on montre dans Cinéma-Minima soit d’une très grande qualité, avec un grand mélange des genres. De la série Web, par exemple, mais aussi des vidéo-clips, qui sont des genres plutôt populaires. Pourquoi des vidéo-clips ? Parce que c’est le lieu de rencontre de la musique et du cinéma. Quand tu parles d’audio-visuel, si t’oublies l’audio, c’est dommage ! Le cinéma n’a jamais été muet, il y a un mensonge d’appellation qui nous a induit en erreur, mais le cinéma ne s’est jamais tue, il a toujours voulu parler ! D’abord avec des notes, et sauf erreur, un film s’ouvre et se termine toujours en musique. On a aussi pris le parti de montrer des films sur la danse, des films très courts, qui sont fait à travers un concours qui a lieu en Allemagne, avec des vraies visions de cinéastes sur la chorégraphie. Ces films durent moins d’1 minute, mais ce sont des films fascinants, des témoignages de ce que peut révéler la caméra du mouvement d’un corps.

Dans ce que tu évoques on revient vraiment au pré-cinéma, aux Vues Lumières, à Jules Marey, au cinéma ambulant…

Complètement ! Le premier dossier qu’on a fait pour financer Cinéma-Minima présentait sur sa couverture une photographie d’une vieux cinéma ambulant, d’une tente sur laquelle était écrit : Cinématographe.  Aujourd’hui, il me semble qu’on a beaucoup perdu de l’enchantement su cinéma. C’est pour ça que je veux être là pour les projections des films du Dôme, non pas pour voir les films, parce que moi j’ai eu la chance de les voir, mais pour voir les gens regarder les films du Dôme. Là, de nouveau, tu trouves un système de projection qui ré-enchante assez massivement l’expérience. Tu ne peux pas juste imaginer cette expérience, il faut la vivre. Il y a nonante places couchées ! Tu te mets par terre, tu peux siroter un vert, et tu regardes le plafond, et ce plafond devient un film et il se produit quelque chose qui est de l’ordre de l’ivresse, parce qu’à un moment donné, t’as l’impression d’être au-dessus, et non plus en-dessous, comme si tu contemplais le film d’en-haut. Moi j’adore cette impression des films immersifs, j’ai eu la chance de la vivre quasiment seuls (enfin j’exagère, on était cinq), mais maintenant j’aimerais la partager avec tout le monde, parce qu’en fait, t’émets des bruits. C’est une expérience tellement forte qu’à un moment, tu te surprends à faire « wah ! », tu t’en rends pas compte, mais ça c’est le bruit que tu fais quand tu regardes un feu d’artifice, c’est un bruit que tu fais en étant enfant. Entendre ça au cinéma, c’est super, t’en as plus tant ; t’entends des gens qui parlent, qui bavassent, mais juste faire « wahou » parce qu’ils sont dépassés par ce qu’ils sont en train de voir et qu’ils sont submergés, je trouve ça formidable. C’était ça, l’idée de cette année, c’était de revenir aux origines du cinématographe, avec une cabine de cinéma itinérante, et d'aller jusqu’au futur du cinéma avec une expérience que tu fais couché, en immersion, ou à travers des projets de réalité virtuelle qui sont de plus en plus complexes et de plus en plus bluffants au niveau de l’impression de réel.

En rapport avec l’effet magique de la perception et de la création des images et du son, je pense à la Mash-up Table, invention assez géniale de Romuald Beugnon, qui te permet d’approcher le processus de création de manière totalement ludique, c’est quelque chose qui entre complètement avec votre démarche…

Oui, tout à fait, et je pense qu’au-delà de t’apprendre à être acteur du processus de production, ces dispositifs permettent de t’apprendre de manière très efficace à te méfier des images, ou disons à la décrypter. Encore une fois, je pense qu’il s’agit d’enchanter l’expérience, et en même temps d’être toujours lucide sur le fait que c’est bien une expérience, que c’est quelque chose qui a été fabriqué par des êtres humains, et qui n’est pas quelque chose de naturel. On parlait des enfants, tout à l’heure, puisqu’on a aussi une journée des enfants sur laquelle j’insiste avec les programmateurs pour faire en sorte que les enfants comprennent ce principe de base. Non seulement ce ne sont que des images, mais surtout des images qui ont été manipulées par d’autres que vous, avec lesquelles il faut avoir une distance. Ça veut pas forcément dire une méfiance, mais ça veut dire qu’il faut comprendre que des gens sont intervenus et que dans cette intervention, tout peut se produire. Donc apprenez à le faire vous-même, et vous comprendrez à la fois à quel degré c’est créatif, et aussi à quel point c’est dangereux. Le cinéma, c’est Georges Méliès, mais c’est aussi Leni Riefenstahl. Les deux vont absolument ensemble, tu peux pas les dissocier. Donc fatalement t’es obligé de dire aux gens : « apprenez ». Et puis l’avantage, une fois que tu as appris, c’est que tu peux te laisser aller plus facilement, parce que tu as les armes pour te défendre, presque intuitivement. Tu peux les laisser venir, parce que tu sais que tu fais le tri.
Quand j’étais critique, je pouvais pas prendre de notes pendant le film. Je trouvais ça horrible de devoir s’abstraire de cette réalité qui est le film ! Parce qu’au moment où il existe, c’est le principe de base du « suspension of disbelieve », de faire croire que c’est réel, et si tu y crois, t’as aucune raison de vouloir t’en abstraire pour l’analyser ! Tu dois pouvoir faire ça après coup, lors d’une re-projection dans ton esprit, pour pouvoir créer ce truc bizarre qu’est une critique de cinéma, qui n’est pas le film, qui n’est pas un compte-rendu du film contrairement à ce qu’on pourrait penser mais qui est une interprétation du film par quelqu’un - selon moi, c’est le bon angle pour une critique de cinéma.
Ce qui est significatif cette année, c’est que les distributeurs avec qui on travaille ne considèrent plus tout ce dont on a parlé là comme du gadget. À partir de là, ils sont contents de nous confier des films de Peter Greenaway, Arturo Ripstein, de Jerry Skolimowski, de Hou Hsiao Hsien, de Johnny To, parce qu’ils pensent que ce festival rend honneur au cinéma et à ce monde des images, tout en le faisant à sa façon. Nous, on leur a jamais vendu autre chose que ce qu’on est.

 

Vous avez une section dédiée aux séries TV, quand on sait la dimension chronophage de la série, comment est-ce que vous articulez ça dans le festival ?

J’ai un questionnement de fond sur la série télé, sur la manière de la montrer. Cette année, on a choisi d’en montrer une en intégral (Au service de la France, écrite par le scénariste d’OSS 117, qui sera d’ailleurs là pour la présenter), en marathon de 6h de projection, et de montrer les 17 épisodes pilote des autres séries. C’est une journée et une soirée entière dédiée à la série Télé. En plus de ça, t’as DJ Cam qui vient remixer Miami Vice, dont on remontre le pilote pour l’occasion, on propose aussi une conversation avec Michael Nouri qui est un vieux routier de la série américaine, donc en fait il y a vraiment plusieurs entrées possibles. Sur une journée, les gens ont l’accès à tout, sur un seul billet, et quelque part, on ne choisi pas. C’est-à-dire qu’on sait qu’on va avoir des problèmes de jauges de salle, ce jour-là. Il y aura des salles trop pleines, et des salles qui ne le seront pas assez. Et puis c’est le jeu ! Encore une fois, quand tu crées un festival de Rock, t’as des moments où tout le monde veut aller sur la même scène ! Mais quand il n’y a plus de places, et bien les gens se répartissent et ce n’est pas un drame. En plus, ils découvrent autre chose. Alors on verra bien, si c’est un flop, et bien on ne recommencera pas, mais si ça marche, et bien c’est que ça valait la peine.
L’année dernière, on projetait les deux premiers épisodes, parce qu’on s’était dit que ça donnait une bonne idée de l’arc général de la série. Mais finalement, est-ce qu’on a véritablement besoin de juger de l’arc de la série ? je me suis dis qu’avec du recul, ça, c’était déjà une pensée d’expert, de se dire que tout le monde devrait être capable de juger de la qualité d’une série en regardant deux épisodes. Déjà, est-ce que tout le monde a envie de faire cet effort ? Je ne suis pas sûr.
Il y a surtout un principe fascinant dans la série, c’est son principe addictif, t’as envie d’y retourner. Or, sur quoi est-ce qu’on table ce principe addictif ? Et bien sur l’épisode Pilote. C’est comme le pitch d’un film, parfois t’es un peu dessus par rapport aux cinq premières minutes, mais ces cinq premières minutes, elles t’avaient plus que séduit. Je pense qu’on ne peut pas retirer à la série cette véritable honnêteté qu’elle a de se vendre à travers un épisode pour lequel elle dit « attention, ce n’est pas le contenu global, mais c’est ce par quoi on essaie de vous choper. Si vous avez aimé, revenez nous voir ! » Moi, je trouve ça très invitant pour le public de dire « venez, et puis ensuite vous avez la liberté de découvrir le reste ». Je peux vous garantir que sur l’ensemble des épisodes, les pilotes + les épisodes de l’intégral, y en a pas un qui est mauvais au niveau de l’écriture audiovisuelle. Tout ce qu’on montre a une vraie valeur ajoutée, du drame le plus dur à la plus pure comédie - et dieu merci il y en a tellement qu’on a de quoi faire le tri. Il faut noter aussi que cette année, à part The Last Man on Earth, et Show me a Hero, j’ai enlevé toutes les séries américaines. Pour une raison toute simple, qui est celle du piratage. Aujourd’hui, ces séries sont diffusées tellement rapidement sur internet qu’il n’est plus intéressant pour nous de les montrer à un public qui les a, parfois massivement, déjà vues. Et puis la qualité des séries européennes a tellement augmenté sous l’impulsion des britanniques et puis surtout des scandinaves, que ça a transfiguré le paysage des séries européennes.
Ce sont des projets que j’aime bien parce que ça permet de mieux faire connaître le festival, mais au travers d’un prisme qui nous correspond bien, c’est-à-dire comme un lieu où on fait des expériences, et où on ne se contente pas de répercuter une bonne vieille formule qu’on connaît bien qui est aussi vieille que Cannes, Locarno ou Venise et qui, personnellement, ne me convient plus. Tous les ans, je vais à Austin, au festival South by Southwest. C’est un festival qui mélange cinéma, digital et musique. Ça dure trois semaines, c’est complètement fou, il se passe des tonnes de choses ! Et comme on est aux Etats-Unis, tu te retrouves dans des files d’attentes où tout le monde est traité de la même manière. Tu veux voir ça ? Et ben tu fais la queue, c’est aussi simple que ça, et moi je trouve ça génial. Quand t’es habitué à Cannes, où t’as une accréditation avec une pastille de couleur, et un autre machin, et puis tu peux aller un peu plus vite que les autres, alors tu leur passes devant le nez, où tout ça crée une espère de tension sociale pas possible, une sorte d’aristocratie du festival… pour moi, aujourd’hui, c’est très difficile d’assumer ça. Je ne vois pas en quoi les festivals sont aristocratiques. Moi je veux créer un festival où tous ceux qui veulent y venir peuvent venir. Qu’ils soient professionnels ou pas, c’est pas vraiment une question que je me pose. La question, c’est est-ce que tu veux venir voir ce programme qu’on a concocté pendant 12 mois ? Si oui, et bien viens, et le but c’est que tu ne rentres pas chez toi après la séance pour aller dormir. Ça, c’est une mauvaise idée :)

S’il y avait une soirée que tu ne manquerais pour rien au monde sur cette édition, ce serait laquelle ?

Si j’étais un festivalier, il y en aurait deux : la soirée des séries (le samedi 7), après 10-12h de projection qui te font arriver à un niveau de saturation que je trouve assez cool, et l’autre, ce serait la soirée hommage à Anton Corbijn (le vendredi 13), avec ensuite Asia Argento aux platines avec aussi Kid Chocolat, un tandem ahurissant, mais aussi avec plein d’autres surprises que je ne peux pas révéler là (sourire rusé, NDLR). Mais bon, y aurait aussi la soirée du lendemain, avec la comédie musicale de Johnny To en 3D (quand même, il faut le voir pour y croire !) plus le film de Paule Muret avec Carl Barat des Libertines, enfin je pense que le samedi soir sera très explosif aussi. Après, il y a aussi des moments beaucoup plus calmes qu’il ne faut pas manquer non plus – pour moi, faire l’expérience du film de Greenaway ou de voir 21 Nuits avec Pattie en présence de l’équipe du film, ce sont des expériences plus traditionnelles de festival mais qu’il ne faut pas louper, parce que c’est génial d’avoir ces opportunités-là.
Mon coup de cœur, c’est The Sandwich Nazi. Pour moi, c’est un film profondément nécessaire, dans un monde qui est gentiment en train de devenir faux-cul, à l’égard de l’homosexualité, du mariage, bref, dans un monde de bonnes intentions familiales qui, dans l’histoire, ont souvent conduit au pire. Une société consciente du bien commun, c’est une société qui laisse parler ce qu’elle redoute le plus. Or ce qu’elle redoute le plus, c’est le personnage principal de ce film. Mais c’est aussi ce qui la fait vivre. Ce sont des types comme ça, qui font office de « pop-up », d’épi-phénomènes, qui t’emmènent ailleurs. Moi je l’ai découvert à Austin, aux Etats-Unis, donc c’était une ambiance assez particulière, mais ce qui est formidable, c’est que les gens qui sont choqués à la minute trente du film, sont aussi ceux qui pleurent, à la septante. Et là, tu te dis, chapeau. Une pure œuvre d’art.

Comment je vais faire, moi, pour choisir !

(rires) Je trouve ça génial, quand tu te dis que tu veux aller là, et là, et aussi là, et que t’as pas envie de choisir ! Y a un côté magasin de bonbons, et c’est clair que je conseille plutôt aux gens d’avoir les yeux plus gros que le ventre.


On espère que cette rencontre-interview fleuve (!) vous aura donné envie d'explorer et de vous laisser aller à une boulimie d'images durant les 9 jours qui viennent!

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