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Move-On Magazine

Rencontre à Cluny avec Alain Carré, un romantique d’aujourd’hui


Un homme-acteur-metteur en scène qui nourrit ses personnages en se nourrissant et inversement.


| Publié le Lundi 19 Mars 2018 |

Rencontre à Cluny avec Alain Carré, un romantique d’aujourd’hui
Rencontre à Cluny avec Alain Carré, un romantique d’aujourd’hui
Alain Carré, vous jouez la pièce « Voltaire/Rousseau » à Annecy fin mai. J’ai l’impression que Rousseau vous est très proche, très cher.
Les deux, oui, ce sont deux génies. Au théâtre, Voltaire est un personnage qui, pour un comédien, offre toutes les facettes : il est le grand démolisseur, la colère, l’humour corrosif, la virtuosité de la langue, Rousseau est beaucoup plus musical. Le plus beau texte que j’aie lu, le plus musical est la cinquième rêverie du promeneur solitaire.
« Voltaire/Rousseau », est une reprise. Nous l’avons jouée au château de Coppet où l’auteur , Jean-François Prévand était venu nous voir, de Barcelone où il réside. Tout part d’un pamphlet anonyme de la main de Voltaire et l’ensemble est un tissage de citations qui prend la forme d’un duel très intéressant sur scène.

Nous préparons une suite, toujours au château de Coppet où je dirige un festival de théâtre autour de Germaine de Staël. Nous allons donner une nouvelle pièce qui part d’un fait réel.  Ce sera « Dors-tu content Voltaire ? », avec le même comédien qui joue Rousseau et une comédienne. L’auteur en est Hyppolite Wouters, de qui j’ai déjà joué quelques pièces. Celle-ci est écrite en alexandrins. Voltaire déclinant vit avec son amante Emilie du Châtelet qui a un autre amant de chevalier de Saint-Lambert. Emilie tombe enceinte de celui-ci et demande à Voltaire d’arranger une intrigue pour sauver la situation. On fait donc revenir au château de Cirey le mari d’Emilie pour une nuit… Ce sera au mois de juin au château de Coppet en juin, juste après Annecy.

J’ai remarqué qu’en huit mois vous donnez une dizaine de spectacles qui constituent autant des rencontres que des spectacles. Vous faites se rencontrer texte, musique, personnages. Vous n’êtes pas nombreux sur scène, mais il y a une sorte de fidélité avec des comédiens, des musiciens et le thème des pièces que vous interprétez est assez souvent celui d’une rencontre.
Je n’ai jamais voulu appartenir à une compagnie. J’ai la réputation d’être un électron libre qui travaille autant avec de la musique ancienne que contemporaine, avec des orchestres qu’avec un pianiste comme François-René Duchâble avec lequel nous en sommes à 107 créations différentes en 22 ans. Théâtralement j’aime bien travailler avec des gens dont j’ai l’impression qu’on a la même formation… quand ce ne sont pas d’anciens élèves. Le comédien qui joue Rousseau est un ancien élève que j’ai eu à Genève.

Rencontre à Cluny avec Alain Carré, un romantique d’aujourd’hui
Rencontre à Cluny avec Alain Carré, un romantique d’aujourd’hui
Vous êtes un gourou ? (rires)
Certaines personnes le disent mais je ne pense pas en être un (rires). J’aime simplement travailler avec des gens qui ont la même sensibilité, qui considèrent la voix comme un instrument de musique et pas uniquement comme un objet de théâtre, des gens qui lisent. La lecture me passionne et fait partie de ce qu’on amène au personnage, au jeu et au public. J’ai besoin d’être nourri par mes partenaires en-dehors du rôle, dans les répétitions, dans des discussions, d’apprendre. J’ai toujours préféré rencontrer l’être humain seul à seul plutôt que d’appartenir à une compagnie. De là sont nés des projets, des compagnonnages plus ou moins longs mais très fidèles. Je joue cependant un peu moins qu’avant, je suis passé de deux cents soirs à cent cinquante par an.

Soljenitsyne, La Fontaine, Madame de Staël, Napoléon, Voltaire… vous êtes une sorte d’hyperactif curieux de tout.
En février j’ai dû jouer sept spectacles différents… un gros exercice de mémoire, même si certains étaient des reprises. J’ai appris beaucoup au contact de François-René Duchâble après avoir joué des spectacles en série, sur la durée en 91/92.J’ai besoin de traverser la France en voiture au moins une fois par semaine, de faire 85000 kilomètres par an.

De traverser la France et des textes différents.
Absolument. Et même quand je reprends « Le journal d’un génie » de Salvador Dali, que j’ai déjà donné 800 fois depuis 1984, je le vis et le joue avec des éléments nouveaux.

Il n’ya pas de frontière entre l’individu que vous êtes et l’acteur sur scène.
Même si je joue un personnage, oui. Duchâble m’a dit ne jamais jouer le même concerto deux soirs de suite. Pourquoi les comédiens devraient-ils jouer le même spectacle en série, même si certains vous disent « On va plus loin ». Je préfère retrouver mes personnages un mois, un an après.

Vous construisez votre propre vie avec ces personnages et eux avec votre vie. C’est un échange permanent.
Je les emmène.

Peu de gens du métier ont cette approche, d’autant plus que vous êtes aussi metteur en scène.
Non, effectivement. Il y a Philippe Caubère, que j’admire beaucoup. Il joue ses propres spectacles et peut jouer trente heures de mémoire sans aucun problème, comme le faisaient au Moyen Age les jongleurs. Des gens qui jonglaient avec des notes, avec des mots comme on le fait aujourd’hui au cirque. C’est ce qui m’a défini : être un jongleur avec des rôles.

François-René Duchâble, Brigitte Fossey, Alain Carré
François-René Duchâble, Brigitte Fossey, Alain Carré
Les gens comme vous sont des jongleurs dans leur profession mais surtout dans leur propre vie. Est-ce c’est une forme de curiosité extrême mais aussi une manière de fuir l’ennui ?
Depuis cinq ans je me calme un peu. Avant les ennuis commençaient au sortir de scène.
Sur scène tout est merveilleux, on est avec son personnage, qui ne vous cause pas de problème, avec le public qui vous applaudit. C’était une fuite par rapport à la vie dont je ne supporte pas l’issue finale, la mort. Je n’en ai pas peur mais je reste persuadé que c’est absurde. Pendant cinquante ans j’ai combattu cette absurdité en la noyant dans les trajets, des lectures, des jeux, des rencontres. Aujourd’hui, grâce à une phrase de George Steiner (dans un livre d’entretiens avec Laure Adler « Un long samedi ») qui compare la vie à une invitation à passer une soirée chez des amis, avec l’obligation de rentrer chez soi ensuite, je suis apaisé. Une seule phrase ! Si j’ai lu autant de livres dans ma vie, c’était pour trouver cette phrase et l’apaisement avec elle. J’avais cherché chez Cioran, chez Virginia Woolf. Chez Cioran j’avais trouvé « Tout s’arrange toujours, même mal. »Mais c’est la phrase de Steiner qui m’a apporté l’apaisement.

Depuis quelques années je trouve un bonheur inouï dans la vie elle-même, notamment dans ce coin où nous sommes, le sud de la Bourgogne, grâce aux paysages, à la nature.

Parmi les fidélités que vous évoquiez il y a Brigitte Fossey.
Nous avons encore joué ensemble la semaine dernière. C’est une femme extraordinaire, spirituelle, lumineuse, solaire. C’est une rencontre qu’elle a désirée. Nous travaillions tous les deux au festival de Nohant, chez George Sand ; depuis des années mais à des dates différentes. Elle m’a appelé un jour pour me proposer de travailler ensemble, ce que nous faisons depuis six/sept ans et nous sommes devenus de grands amis. Nous partageons des moments de discussion, d’échange pas nécessairement liés à la scène.

Vous appréciez les gens qui ont une épaisseur même en dehors de la scène.
Je travaille depuis quelques années avec Thierry Maladini, un jongleur originaire d’Annecy, avec des danseurs, des musiciens, des plasticiens. Je n’ai pas d’œillères. Je travaille aussi avec des auteurs contemporains car c’est une chance de dire ou d’interpréter le texte d’un auteur qu’on a devant soi et à qui on révèle une autre lumière qu’il n’avait peut-être pas vue dans son texte, ou qui nous corrige. L’échange avec des auteurs vivants m’est cher.

Vous avez domestiqué cette manière d’envisager la vie qui ouvrait sur l’absurde et votre « curiosité » vous amène à d’autres types d’échanges.
Oui, comme je vous le disais .Aujourd’hui, je garde pour moi mon côté écorché, je peux en discuter tranquillement avec moi-même quand je décide d’ouvrir la porte. Bien sûr, j’ai dit tout Rimbaud par cœur, Baudelaire, n’en parlons pas, Nietzsche, Cioran… il y a de ce côté une consanguinité, même si je ne prends pas pour ces génies. C’est un besoin d’être nourri par ces gens dont on se sent proche dans son sang, dans sa façon de penser, d’être ému ; j’ai aussi d’autres lectures, et puis il faut penser au public quand on monte un spectacle. Il n’a pas forcément envie d’entendre parler de la mort chaque fois qu’il va au théâtre... sans sombrer dans la tendance actuelle du one (wo)man show comique. Il faut continuer à faire passer de grands textes, qui peuvent comporter de l’humour. L’essentiel étant que les gens sortent, continuent d’aller au spectacle.

Vous avez évoqué votre proximité avec Rousseau , seriez-vous un romantique au sens où le romantisme est une recherche de l’originalité ?
Nous sommes tous romantiques. Je reste un romantique amoureux de la beauté, du rêve, des mots honnis aujourd’hui dans certains théâtres. J’aime les choses belles, les belles personnes, les choses qui me font décoller, qui me font oublier. En ce sens je suis romantique, oui.


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