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Move-On Magazine

Notre rencontre avec Jean-Louis Hourdin


Jean-Louis Hourdin a consacré sa vie au théâtre. Passé par l’Ecole d’Art dramatique de Strasbourg, où il a été étudiant, figurant, acteur, professeur…il a travaillé avec Robert Girones, Peter Brook, Jean-Pierre Vincent et a choisi sa propre voie en co-fondant le bien nommé GRAT (Groupe d’Action Théâtrale), mis en scène Shakespeare, Garcia Lorca, Dario Fo, Büchner, Fassbinder, Jarry, Brecht…

Son expérience du théâtre et son regard sont précieux, ainsi que sa vision de la société "Un de nous sait faire une chose et il sauve le monde".


| Publié le Vendredi 2 Septembre 2016 |

Jean-Louis Hourdin - Copyright Nicolas Righetti
Jean-Louis Hourdin - Copyright Nicolas Righetti
Nous avons rencontré Jean-Louis Hourdin dans son petit village du Clunisois qui a vu passer François Mitterrand venu assister à un spectacle donné à partir des textes d’Albert Cohen, Fellag venant de quitter l’Algérie, Yves Cusset... Nous parlons de théâtre, d’art, du statut de l’artiste….

 J-L Hourdin   _  Au cours d’une discussion récente, quelqu’un disait "Il faut des artistes engagés". J’ai répondu que c’est un pléonasme. Je vois mal un artiste ne s’engageant pas. Mais c’est toute la discussion sur l’art. Est-ce que Mozart, Picasso, Rodin sont engagés ? L’œuvre, comme elle décale du réel, nous fait porter un autre regard sur le monde, c’est pourquoi je n’aime pas trop le réalisme, le naturalisme qui sont trop imitatifs de la vie. Jouvet dit que l’acteur – mais c’est valable pour l’artiste et tous les arts – doit tromper le temps et l’espace. C’est-à-dire qu’on est dans un autre univers qui parle du monde mieux que le monde quand on le regarde, notre regard bouge par rapport à ce qu’on croyait savoir…   

Qu’est-ce qui permet à l’art de mieux parler de la vie ?
Il n’y a qu’à prendre Shakespeare, qui fait une chronique de ce qui s’est passé vraiment en Angleterre en un ramassé, un condensé, avec d’autres paroles… c’est le génie de Shakespeare qui fait ça, il n’y a pas de recette.

Qu’est-ce qui caractérise le théâtre, quels sont ses atouts par rapport aux autres formes artistiques ?
"C’est le principal art de la communauté, dit Jean-Luc Nancy. C’est "comme un", commun. Quelqu’un s’est dressé, s’est immobilisé un jour en un lieu singulier, venant d’une absence, d’un exil mystérieux, à l’écart mais en vue des autres et il a entamé le récit qui a rassemblé les autres. Il leur raconte leur histoire ou la sienne, une histoire qu’ils savent tous mais qu’il a seul le don, le doit ou le devoir de réciter. C’est l’histoire de leur origine, de l’origine elle-même en eux ; c’est aussi bien l’histoire du commencement du monde que l’histoire du récit lui-même".
[Et Jean-Louis Hourdin d’évoquer la naissance de sa passion pour le théâtre, lorsque souffrant de l’injustice de se retrouver interne en pension, il est sauvé par ce lieu, la salle de répétition, où tous sont égaux, ont le droit de se tromper, formant une collectivité, une communauté]
Le théâtre est le lieu utopique d’une communauté réconciliée qui montre notre blessure commune mais nous permet de voir les choses différemment et de progresser, nous , les acteurs, en répétant pour partager ensuite avec le public. Les acteurs, nous sommes les transparents, les transparents du Verbe entre nos deux patrons qui sont les poètes et le public. On n’ est rien et on est tout parce qu’on est le passage, mais rien s’il n’y a pas les poètes et le public.

Comment un acteur peut-il redire ou revivre le même texte pendant des semaines ou des mois d’affilée tout en gardant quelque chose de vivant, de nouveau  chaque fois ?
Parce qu’il n’est jamais content. Et même ! Admettons qu’un jour il soit content et que le lendemain il se plante. Nous avons cette chance que le lendemain nous permette d’aboutir un jour…et on n’aboutit jamais.

Il y a un souci de perfection ?
Celui d’atteindre le but, le partage.
Mon point de vue est aussi celui du chef de troupe – je préfère cette expression à "metteur en scène"  - même si je suis aussi acteur. Une représentation cherche toujours à corriger les erreurs de la précédente et annonce celle que la suivante va essayer de corriger. "Un jour, j’aimerais bien faire un beau spectacle !" c’est ça la motivation. Et on n’y arrive jamais.

C’est un peu comme la vie. C’est un renvoi permanent entre la vie et la scène, ça ne peut donc jamais s’arrêter.
Si l’on revient à tous les grands, Shakespeare, Eschyle… ils sont en souci de ce que nous disions, d’éclairer le monde d’une autre façon pour nous montrer comment un jour on peut vivre "comme un", une vraie communauté rassemblée dans le respect des uns et des autres. Il se trouve que notre époque, depuis vingt ans, est tragique. Un homme de théâtre ne peut pas y être indifférent. Il ne s’agit pas de faire de l’agit-prop… mais… il n’y a pas de pièce sur le bonheur, même le boulevard si l’on peut dire que c’est le bonheur de rire, parce que l’adultère n’est pas un thème très gai. Aucune pièce ne célèbre le bonheur. Notre "fonds de commerce" est le malheur .

Vous rivalisez avec la presse et les journaux télévisés ?
C’est là que l’art intervient, c’est que notre malheur, il ne faut pas le dire comme un malheur, il faut le projeter comme une possibilité de changement, il faut danser sur le malheur pour l’éradiquer, pour un jour le tuer.

Il y a une dimension d’utopie.
Une dimension d’utopie d’une communauté réconciliée le temps d’une représentation. Une communauté qui voit sa blessure, ses manques et qui se dit "Mais merde ! si un poète dit ça, c’est qu’on peut le faire". Ça permet d’entrevoir la possibilité du bonheur. Lors d’une discussion ma fille de neuf ans et demi m’a cité une phrase qu’elle avait entendue "La vie est trop courte pour être petite". L’art est d’essayer d’être le plus grand, ou le plus humain possible. D’être des humains.

Dans ce cas, c’est qu’on envisage la vie elle-même comme de l’art. Ça déborde largement la scène.
C’est ce que les situationnistes disaient dans les années 60. A bas la société de consommation, les représentations, les images… C’est la vie qui est l’art, qui est la politique, l’engagement, le partage.
Mais les relations entre l’art et la vie sont compliquées. Zoran Music a survécu à l’internement dans un camp de concentration grâce aux dessins qu’il y a faits en cachette alors que Bram Van Velde, autre grand peintre du 20° siècle dit que de 39 à 45 il n’a pas pu peindre  parce que ce qui se passait lui enlevait ses doigts. Qui a raison ?

Les grandes questions ne se tranchent pas d’un oui ou d’un non.
C’est pour ça que le théâtre militant, engagé n’a pas trop d’intérêt, parce qu’il ne prêche que les convaincus et n’attire pas à lui les autres, même s’il y a eu dans l’Histoire des formes d’agit-prop qui ont inventé des expressions poétiques admirables, des techniques populaires très simples de poésie et de politique… On peut rajouter ceci, sur nos métiers, que le mec qui est certain, c’est un crétin… D’où ce besoin d’être rassuré par au moins 51% du public, comme aux élections  présidentielles. (Rires). Et puis il y a des moments de grâce comme au festival d’Avignon, où on avait monté une pièce de Fassbinder Liberté à Brême avec Hélène Vincent dans le rôle principal. Les gens se marchaient dessus pour entrer, mais même dans ce cas-là, il n’y a jamais d’unanimité.

Quel spectateur êtes-vous ?
Si je vois des acteurs qui jouent ensemble, une équipe qui joue ensemble dans un décor et une mise en scène qui éclairent le texte dans le bon sens du terme, si je vois ça, déjà je suis content ; après, je peux ne pas aimer le texte, un acteur…

Vous avez joué au théâtre de Bourgogne à Dijon, vous résidez  en Saône-et-Loire. Dominique Pitoiset crée La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Brecht début novembre à Annecy – il est d’ailleurs artiste associé à Bonlieu Scène Nationale pour la 3° année -  avec Philippe Torreton. Il a lui aussi des attaches à Dijon. Que pensez-vous du choix d’Arturo Ui actuellement ?
Vous voyez où en est l’Autriche, où en sont d’autres États d’Europe Centrale, toutes les élections en France, droite nationalistes, mouvements extrêmes, il y a de quoi avoir peur. Nous parlions de la Syrie. Il n’est pas étonnant que Dominique ait choisi cette pièce parce qu’il peut y avoir un écho avec ce qui se passe, surtout en Autriche.

Vous –même, quand vous montez du Brecht, que cherchez-vous à faire passer ?
Ce que nous disons depuis le début, comment l’humanité peut se retrouver. Remettre à jour, faire remonter tout ce qu’il y a d’humain en nous et qu’on oublie.

Ce n’est pas un paradis perdu ?
Non, c’est un paradis que certains montrent du doigt, de loin, et auquel on devrait s’atteler.
« Danser sur le malheur » disiez-vous, mais vous n’êtes pas pessimiste. C’est le propre des vrais artistes de naviguer entre plusieurs pôles, de se chercher sans arrêt.
L’intelligence humaine existe, il faut la nommer car elle est étouffée. Le politique est devenu essentiellement financier et lamine tout. Il faut cependant être véritablement optimiste si l’on fait le tour de toutes les choses magnifiques qui se font dans le monde entier.
 
Nous concluons ce long entretien par cette déclaration de Jean-Louis Hourdin
Les acteurs sont des enfants car ils jouent à jouer et veulent que ce soit la fête tout le temps. Bon, en grandissant on se rend compte qu’on manipule des idées et que l’énigme du politique et de la poésie, c’est l’énigme de la communauté.

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